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DE LEUROPE. 201

tête? car il faut avouer que toutes les pièces du divin Shakes- peare sont dans ce goût; le second, comment on a pu élever son âme jusqu'à voir ces pièces avec transport, et comment elles sont encore suivies dans un siècle qui a produit le Caton d'Addison?

L'étonnement de la première merveille doit cesser quand on saura que Shakespeare a pris toutes ses tragédies de l'histoire ou des romans, et qu'il n'a fait que mettre en dialogues le roman de Claudius, de Gertrude et d'FIamlet, écrit tout entier par Saxon le grammairien, à qui gloire soit rendue.

La seconde partie du problème, c'est-à-dire le plaisir qu'on prend à ces tragédies, souffre un peu plus de difficulté ; mais en voici la raison, selon les profondes réflexions de quelques philo- sophes.

Les porteurs de chaise, les matelots, les fiacres, les courtauds de boutique, les bouchers, les clercs même, aiment beaucoup les spectacles; donnez-leur des combats de coqs, ou de taureaux, ou ^ de gladiateurs, des enterrements, des duels, des gibets, des sorti- lèges, des revenants, ils y courent en foule; et il y a plus d'un seigneur aussi curieux que le peuple. Les bourgeois de Londres trouvèrent dans les tragédies de Shakespeare tout ce qui peut plaire à des curieux. Les gens de la cour furent obligés de suivre le torrent : comment ne pas admirer ce que la plus saine partie de la ville admirait? Il n'y eut rien de mieux pendant cent cin- quante ans ; l'admiration se fortifia, et devint une idolâtrie. Quelques traits de génie, quelques vers heureux, pleins de naturel et de force, et qu'on retient par cœur malgré qu'on en ait, ont demandé grâce pour le reste, et bientôt toute la pièce a fait for- tune, à l'aide de quelques beautés de détail.

Il y a, n'en doutons point, de ces beautés dans Shakespeare. . M. de Voltaire est le premier qui les ait fait connaître en France : c'est lui qui nous apprit, il y a environ trente ans, les noms de Milton et de Shakespeare ; mais les traductions qu'il a faites de quelques passages de ces auteurs sont-elles fidèles? Il nous avertit lui-même que non ; il nous dit qu'il a plutôt imité que traduit. Voici comme il a rendu en vers le monologue d'Hamlet, qui commence la seconde scène du troisième acte :

1 Demeure^ il faut choisir, et passer à l'instant De la vie à la mort, et de Tétre au néant.

1. Ce morceau, et même la traduction littérale qui le suit, font double emploi avec une partie de la dix-huitième des Lettres philosophiques (voyez tome XXII, page 150); mais leur suppression ici ferait une lacune trop sensible.

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