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DE L'EUROPE. 211

Quoique époux adoré, jaloux jusqu'à la rage, Trompé par un esclave, aveuglé par l'erreur, Immola son épouse, et se perça le cœur.

Il n'y a pas un mot de cela dans l'original. L'art n'est pas fait pour moi est pris dans Zaïrc^ ; mais le reste n'en est pas.

Le lecteur est maintenant en état de juger le procès entre la tragédie de Londres et la tragédie de Paris,

DES DIVERS CHANGEMENTS ARRIVÉS A L'ART TRAGIQUE.

Qui croirait que l'art de la tragédie est dû en partie à Minos? Si un juge des enfers est l'inventeur de cette poésie, il n'est pas étonnant qu'elle soit un peu lugubre. On lui donne d'ordinaire une origine plus gaie, Thespis et d'autres ivrognes passent pour avoir introduit ce spectacle chez les Grecs au temps des ven- danges; mais si nous en croyons Platon, dans son dialogue de Minos, on jouait déjà des pièces de théâtre du temps de ce prince, Thespis promenait ses acteurs dans une charrette. Mais en Crète, et dans d'autres pays, longtemps avant Thespis, les acteurs ne jouaient que dans les temples. La tragédie fut dans son origine une chose sacrée ; et de là vient que les hymnes des chœurs sont presquetoujoursleslouangesdes dieuxdans les tragédies d'Eschjle, de Sophocle, d'Euripide. Il n'était pas permis à un poète de donner une pièce avant quarante ans ; ils s'appelaient Tp:zyoJr^,o^r.,^aG/^aÀO'., docteurs en tragédie. Ce n'était qu'aux grandes fêtes qu'on repré- sentait leurs ouvrages; l'argent que le public employait à ces spectacles était un argent sacré.

Eubulus ou Eubohs, ou Ébyiys, fit passer en loi qu'on mettrait à mort quiconque proposerait de détourner cette monnaie à des usages profanes. C'est pourquoi Démosthène, dans sa seconde Ohnthienne, emploie tant de circonspection et tant de détours pour engager les Athéniens à employer cet argent à la guerre contre Philippe ; c'est comme si on entreprenait en Italie de sou- doyer des troupes avec le trésor de .\otre-Dame de Lorette.

Les spectacles étaient donc liés aux cérémonies de la rehgion. On sait que, chez les Égyptiens, les danses, les champs, les repré- sentations furent une partie essentielle des cérémonies répu- tées saintes. Les Juifs prirent ces usages des Égyptiens, comme tout peuple ignorant et grossier tâche d'imiter ses Toisins savants

1. Acte IV, scène ii.

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