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220 APPEL A TOUTES LES NATIONS

mesnil, lorsque, dans Mèrope^, les yeux égarés, la voix entre- coupée, levant une main tremblante, elle allait immoler son propre fils ; quand Narbas l'arrêta, quand, laissant tomber son poignard, on la vit s'évanouir entre les bras de ses femmes, et qu'elle sortit de cet état de mort avec les transports d'une mère ; lorsque ensuite s'élançant aux yeux de Polyphonte, traversant en un clin d'oeil tout le théâtre, les larmes dans les yeux, la pâleur sur le front, les sanglots à la bouche, les bras étendus, elle s'écria : « Barbare, il est mon fils^ ! » Nous avons vu Baron ; il était noble et décent, mais c'était tout. M"»^ Lecouvreur avait les grâces, la justesse, la simplicité, la vérité, la bienséance ; mais pour le grand pathétique de l'action, nous le vîmes la première fois dans M"** Dumesnil.

Quelque chose de supérieur encore, s'il est possible, a été l'action de M"* Clairon, et de l'acteur qui joue Tancrède^ au troi- sième acte de la pièce de ce nom, et à la fin du cinquième; jamais les âmes n'ont été transportées par des secousses si vives, jamais les larmes n'ont plus coulé. La perfection de l'art des acteurs s'est déployée en ces deux occasions dans une force dont jusque-là nous n'avions point d'idée, et M"<= Clairon est devenue sans con- tredit le plus grand peintre de la nation.

Si, dans le quatrième acte de Mahomet, on avait de jeunes acteurs qui prissent ces grands traits pour modèle, un Séide qui sût être à la fois enthousiaste et tendre, féroce par fanatisme, humain par nature, qui sût frémir et pleurer; une Palmire animée, attendrie, effrayée, tremblante du crime qu'on va commettre, sentant déjà l'horreur, le repentir, le désespoir, à l'instant que le crime est commis ; un père vraiment père, qui en eût les entrailles, la voix, le maintien ; un père qui reconnaît ses deux enfants dans ses deux meurtriers, qui les embrasse en versant ses larmes avec son sang, qui mêle ses pleurs avec ceux de ses enfants, qui se soulève pour les serrer entre ses bras, retombe, se penche sur eux ; enfin, ce que la nature et la mort peuvent fournir à un tableau, cette situation serait encore au-dessus de celles dont nous venons de parler.

Ce n'est que depuis quelques années que les acteurs ont enfin hasardé d'être ce qu'ils doivent être, des peintures vivantes; auparavant ils déclamaient. Nous savons, et le public le sait mieux

��1. Joué'c en 174;$ ; voyez tome III du Thcdlre.

2. Acte IV, scène ii.

3. Citait Le Kain.

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