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DE JEAN MESLIER. 331

Si les païens ont cru qu'il y avait des déesses aussi bien que des dieux, que ces dieux et ces déesses se mariaient, et qu'ils en- gendraient des enfants, ils ne pensaient en cela rien que de na- turel : car ils ne s'imaginaient pas encore que les dieux fussent sans corps ni sentiments; ils croyaient qu'ils en avaient aussi bien que les hommes. Pourquoi n'y en aurait-il point eu de mâle et de femelle? On ne voit point qu'il y ait plus de raison de nier ou de reconnaître plutôt l'un que l'autre ; et, en supposant des dieux et des déesses, pourquoi n'engendreraient-ils pas en la manière ordinaire? Il n'y aurait certainement rien de ridicule ni d'absurde dans cette doctrine, s'il était vrai que leurs dieux exis- tassent.

Mais, dans la doctrine de nos cliristicoles, il y a quelque chose de bien plus ridicule et de plus absurde : car, outre ce qu'ils disent d'un Dieu qui en fait trois, et de trois qui n'en font qu'un, ils disent que ce dieu triple et unique n'a ni corps, ni forme, ni figure; que la première personne de ce dieu triple et unique, qu'ils appellent le Père, a engendré toute seule une seconde per- sonne, qu'ils appellent le Fils, et qui est tout semblable à son père, étant comme lui sans corps, sans forme, et sans figure. Si cela est, qu'est-ce qui fait que la première s'appelle le père plutôt que la mère, et que la seconde se nomme plutôt le fils que la fille? Car si la première est véritablement plutôt père que mère, et si la seconde est plutôt fils que fille, il faut nécessairement qu'il y aitquelque chose dans l'une et dansl'autrede ces deux personnes qui fasse que l'un soit père plutôt que mère, et l'autre plutôt fils que fille. Or qui pourrait faire cela si ce n'est qu'ils seraient tous deux mâles et non femelles? Mais comment seront-elles plu- tôt mâles que femelles, puisqu'elles n'ont ni corps, ni forme, ni figure? Cela n'est pas imaginable, et se détruit de soi-même. N'importe, ils disent toujours que ces deux personnes sans corps, forme, ni figure, et par conséquent sans différence de sexe, sont néanmoins père et fils, et qu'ils ont produit par leur mutuel amour une troisième personne, qu'ils appellent le Saint-Esprit, laquelle personne n'a, non plus que les deux autres, ni corps, ni forme, ni figure. Quel abominable galimatias !

Puisque nos christicoles bornent la puissance de Dieu le père à n'engendrer qu'un fils, pourquoi ne veulent-ils pas que cette seconde personne, aussi bien que la troisième, aient, comme la première, la puissance d'engendrer un fils qui soit semblable à elle? Si cette puissance d'engendrer un fils est une perfection dans la première personne, c'est donc une perfection et une puissance

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