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DE M. DE CRÉHILLON. 347

cet excès (le terreur frapperait beaucoup de spectateurs, et les remplirait de cette sombre et douloureuse attention qui fait le charme de la vraie trag(Mie; mais le grand défaut ûWtrée, c'est que la pièce n'est pas intéressante. On ne prend aucune part à une vengeance affreuse, méditée de sang-froid, sans aucune né- cessité. Un outrage fait ù Atrée, il y a vingt ans, ne touche per- sonne; il faut qu'un grand crime soit nécessaire, et il faut qu'il soit commis dans la chaleur du ressentiment. Les anciens connu- rent bien mieux le cœur humain que ce moderne, quand ils re- présentèrent la vengeance d'Atrée suivant de près l'injure ^

L'auteur tombe encore dans le défaut tant reproché aux mo- dernes, celui d'un amour insipide. Ce qui a achevé de dégoûter à la longue de cette pièce, c'est l'incorrection du style. Il y a beaucoup de solécismes et de barbarismes, et encore plus d'ex- pressions impropres. Dès les deux premiers vers il pèche contre la langue et contre la raison :

Avec l'éclat du jour je vois enfin paraître L'espoir et la douceur de me venger d'un traître.

Comment voit-on paraître un espoir avec l'éclat du jour? comment voit-on paraître la douceur? Le plus grand défaut de son style consiste dans des vers boursouflés, dans des sentences qui sont toujours hors de la nature :

Je voudrais me venger, fût-ce même des dieux : Du plus puissant de tous j'ai reçu la naissance ; Je le sens au plaisir que me fait la vengeance. (I, m.)

La Fontaine a dit aussi heureusement que plaisamment :

Je sais que la vengeance

Est un morceau de roi ; car vous vivez en dieux-.

Mais une telle idée peut-elle entrer dans une tragédie?

Thyeste y raconte un songe qui n'est au fond qu'un amas d'images incohérentes, une déclamation absolument inutile au nœud de la pièce. A quoi sert

Une ombre qui perce la terre ? ( II, ii.)

��1, C'est aussi ce qu'a fait Voltaire dans ses Pélopides; voyez tome VI du Théâtre.

2. Livre X, fable xii, 5G-57.

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