Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/36

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M. Le Fèvre d’Ormesson, avocat général, l’interrogeait et rendait ses réponses à la grand’chambre. On ne peut savoir comment dès ce moment l’abbé de Prades eut un nouvel ennemi dans cet avocat général. Il faillit à tomber de son haut quand ce magistrat lui soutint dans le parquet que c’est une impiété de combattre les idées innées. Il était auparavant son ami ; mais cette fois-là il lui parla durement et en maître : soit qu’il fût prévenu par le bruit public que les jésuites avaient excité, soit par quelque autre raison qu’on ne peut pas pénétrer. Il fit longtemps le théologien avec l’abbé de Prades, et l’accusa toujours d’avoir fait un complot contre la religion chrétienne. Mais il ne put empêcher que la grand’chambre, convaincue que la thèse approuvée par la Sorbonne est devenue l’affaire de ce corps, ne renvoyât l’abbé de Prades absous.

Ce jugement de la grand’chambre attira à l’abbé de Prades l’inimitié du sieur d’Ormesson. Celui-ci attendait, pour l’accabler, que la Sorbonne eût achevé l’ouvrage que les jésuites et l’ancien évêque de Mirepoix lui avaient prescrit.

La Sorbonne, le 15 décembre, consomma sa honte. Elle proscrivit sa thèse, son propre ouvrage, malgré l’avis de plus de quarante docteurs. Elle condamna dix propositions, qu’il fallut tronquer, et par conséquent falsifier. Elle attribua à l’auteur ce qu’il avait expressément réfuté. Le décret fut dressé comme on put.

Le docteur Tamponnet fit la préface de la censure, et, comme elle était en latin, il y fit quelques solécismes. Il eut d’ailleurs la prudence d’appeler ouvrage de ténèbres la thèse qui avait été soutenue en pleine Sorbonne, en présence de près de mille personnes. Une chose embarrassa Tamponnet et ses confrères : ce fut de se disculper d’avoir approuvé auparavant, avec unanimité, une thèse qu’il fallait condamner. Pour cet effet, Millet imagina de dire que la thèse avait été imprimée en trop petits caractères, et que les docteurs n’avaient pu la lire. Cette belle évasion fut applaudie. On oubliait que la thèse avait été examinée en manuscrit par les députés. Mais lorsqu’il fut question d’exprimer en latin que ladite thèse avait été imprimée trop menu, la faculté ne put se tirer de ce pas : ils dirent tous qu’ils ne pouvaient exprimer en latin une thèse imprimée menu, et ils députèrent vers le sieur Le Beau, professeur de rhétorique[1], pour lui demander comment cette phrase pouvait être rendue en latin. Celui-ci

  1. C’est l’auteur de l’Histoire du Bas-Empire.