Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/37

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envoya par écrit : latin alors il n’y eut plus d’empêchement.

On exigea bientôt que l’archevêque de Paris donnât un mandement conforme au décret de la Sorbonne. Ses théologiens dressèrent le mandement, et ils y furent si embarrassés, ils sentirent si bien la difficulté, qu’ils réformèrent onze fois les planches imprimées.

Ce mandement fut lu au prône par tous les curés. L’abbé de Prades fut traité d’impie dans toutes les chaires. On prêcha publiquement que la thèse était un complot tramé contre la religion par tous les auteurs de l’Encyclopédie. On le dit tant que tout Paris le crut, quoiqu’il fût très-certain qu’aucun de ces auteurs n’avait vu la thèse. Alors l’avocat général d’Ormesson eut la cruauté de demander à la Tournelle ce qu’il n’avait pu obtenir de la grand’chambre : il obtint un décret de prise de corps contre l’abbé de Prades, décret rendu sans aucune formalité contre un homme déjà convaincu par la Sorbonne.

Cet abbé entièrement innocent, dont la thèse était celle de la Sorbonne, qui ne pouvait être coupable puisqu’il avait offert cent fois de se rétracter s’il était besoin, lui qui est d’une famille qui a si bien servi l’État, lui que la grand’chambre n’avait pu condamner et contre qui le roi, équitable, n’avait point voulu sévir, fut obligé de s’enfuir avec un de ses amis, que les jésuites voulaient perdre aussi. Ils étaient tous deux tombés malades, et se trouvaient sans aucun secours ; ils ont souffert toutes les calamités attachées à une fuite précipitée.

Tout lecteur impartial sera assurément touché de commisération en lisant cette suite de procédés affreux.

Il n’est pas étonnant qu’un vrai philosophe tel que le roi de Prusse, instruit de tous les maux qu’ont faits au monde les querelles théologiques, et convaincu de l’innocence d’un gentilhomme si indignement persécuté par les cabales des jésuites, l’ait pris sous sa protection. L’univers sait combien ce grand homme est le protecteur de la raison et de l’innocence opprimée. Le public commence déjà à penser comme lui sur cette affaire ; tôt ou tard, les tyrans particuliers trouvent dans le public un écueil contre lequel ils se brisent,

Nous en avons vu plus d’un exemple. En vain le docteur Lange avait fait persécuter le respectable docteur Wolf en qualité d’athée[1] ;

  1. Voyez tome XVIII, page 156 ; et la sixième des Lettres à Son Altesse sérénissime monseigneur le prince de **.