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390 MÉMOIRE

moire sur quelques petites circonstances qu'ils n'avaient aperçues qu'avec des yeux égarés et offusqués par les larmes ; mais aucun d'eux n'hésita un moment sur tout ce qui pouvait constater leur innocence. Les cris de la multitude, l'ignorante déposition du chirurgien Lamarque, des témoins auriculaires qui, ayant une fois débité des accusations absurdes, ne voulaient pas s'en dédire, l'emportèrent sur la vérité la plus évidente.

Les juges avaient, d'un côté, ces accusations frivoles sous leurs yeux ; de l'autre, l'impossibilité démontrée que mon père, âgé de soixante-huit ans, eût pu seul pendre un jeune homme de vingt-huit ans beaucoup plus robuste que lui, comme on l'a déjà dit' ailleurs; ils convenaient bien que ce crime était difficile à commettre, mais ils prétendaient qu'il était encore plus diffi- cile que mon frère Marc-Antoine Calas eût terminé lui-même sa vie.

Vainement Lavaisse et la servante prouvaient l'innocence de mon père, de ma mère, et de mon frère Pierre; Lavaisse et la ser- vante étaient eux-mêmes accusés ; le secours de ces témoins néces- saires nous fut ravi contre l'esprit de toutes les lois.

Il est clair, et tout le monde en convient, que si Marc-Antoine Calas avait été assassiné, il l'avait été par toute la famille, et par Lavaisse et par la servante, qu'ils étaient ou tous innocents ou tous coupables, puisqu'il était prouvé qu'ils ne s'étaient pas quittés un moment, ni pendant le souper, ni après le souper.

J'ignore par quelle fatalité les juges crurent mon père cri- minel, et comment la forme l'emporta sur le fond. On m'a assuré que plusieurs d'entre eux soutinrent longtemps l'innocence de mon père, mais qu'ils cédèrent enfin à la pluralité. Celte pluralité croyait toute ma famille et le jeune Lavaisse également coupables. Il est certain qu'ils condamnèrent mon malheureux père au sup- plice de la roue, dans l'idée où ils étaient qu'il ne résisterait pas aux tourments, et qu'il avouerait les prétendus compagnons de son crime dans l'horreur du supplice.

Je l'ai déjà dit S et je ne peux trop le répéter, ils furent sur- pris de le voir mourir en prenant à témoin de son innocence le Dieu devant lequel il allait comparaître. Si la voix publique ne m'a ])ns trompé, les deux dominicains, nommés lîourges et Cal- daguès, qu'on lui donna pour l'assister dans ces moments cruels, oui rendu témoignage de sa résignation ; ils le virent pardonner

1. Voyez, page 37-4, la Lettre de Donat Calas.

2. Voyez page 373.

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