Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/426

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XIII.

Le gouvernement civil est la volonté de tous exécutée par un seul ou par plusieurs, en vertu des lois que tous ont portées.

XIV.

Les lois qui constituent les gouvernements sont toutes faites contre l’ambition : on a songé partout à élever une digue contre ce torrent qui inonderait la terre. Ainsi, dans les républiques, les premières lois règlent les droits de chaque corps ; ainsi les rois jurent à leur couronnement de conserver les privilèges de leurs sujets. Il n’y a que le roi de Danemark dans l’Europe qui, par la loi même, soit au-dessus des lois. Les états assemblés, en 1660, le déclarèrent arbitre absolu. Il semble qu’ils prévirent que le Danemark aurait des rois sages et justes pendant plus d’un siècle[1]. Peut-être dans la suite des siècles faudra-t-il changer cette loi.

XV.

Des théologiens ont prétendu que les papes avaient, de droit divin, le même pouvoir sur toute la terre que les monarques danois ont sur un petit coin de la terre. Mais ce sont des théologiens ;… l’univers les a sifflés hautement, et le Capitole a murmuré tout bas de voir le moine Hildebrand[2] parler en maître dans le sanctuaire des lois où les Caton, les Scipion, les Cicéron, parlaient en citoyens.

XVI.

Les lois qui concernent la justice distributive, la jurisprudence proprement dite, ont été partout insuffisantes, équivoques, incertaines, parce que les hommes qui ont été à la tête des États se sont toujours plus occupés de leur intérêt particulier que de l’intérêt public. Dans les douze grands tribunaux de France[3], il y a douze jurisprudences différentes. Ce qui est vrai en Aragon devient faux en Castille ; ce qui est juste sur les rives du Danube est injuste sur les bords de l’Elbe. Les lois romaines elles-mêmes, qu’on réclame aujourd’hui dans tous les tribunaux, ont été quelquefois contradictoires.

  1. Frédéric III monta sur le trône en 1648 ; Christiern V, en 1670 ; Frédéric IV, en 1699 ; Christian ou Christiern VI, en 1730 ; Frédéric V, en 1746, et régnait lorsque Voltaire publia les Idées républicaines.
  2. Pape sous le nom de Grégoire VII : voyez tome XI, pages 389-396.
  3. Il y avait, en 1762, douze parlements en France ; voyez la note, tome XVI, page 531.