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ment un empire défendu par deux cent mille soldats qui sont au rang des meilleures troupes de l’Europe. L’almanach du Courrier boiteux a-t-il jamais fait de telles prédictions ? La cour de Pétersbourg nous regardera comme de grands astrologues si elle apprend qu’un de nos garçons horlogers a réglé l’heure à laquelle l’empire russe doit être détruit.

XXXVIII.

Si on se donnait la peine de lire attentivement ce livre du Contrat social, il n’y a pas une page où l’on ne trouvât des erreurs ou des contradictions. Par exemple, dans le chapitre de la religion civile : « Deux peuples étrangers l’un à l’autre et presque toujours ennemis ne purent reconnaître un même Dieu[1]; deux armées se livrant bataille ne sauraient obéir au même chef. Ainsi des divisions nationales résulta le polythéisme, et de là l’intolérance théologique et civile, qui naturellement est la même. »

Autant de mots, autant d’erreurs : les Grecs, les Romains, les peuples de la grande Grèce, reconnaissaient les mêmes dieux en se faisant la guerre ; ils adoraient également les dieux majorum gentium, Jupiter, Junon, Mars, Minerve, Mercure, etc. Les chrétiens, en se faisant la guerre, adorent le même Dieu. Le polythéisme des Grecs et des Romains ne résulta point de leurs guerres : ils étaient tous polythéistes avant qu’ils eussent rien à démêler ensemble ; enfin il n’y eut jamais chez eux ni intolérance civile ni intolérance théologique.

XXXIX.

« Une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes, etc.[2] » Une telle assertion est bien bizarre. L’auteur veut-il dire que ce serait une société de bêtes ou une société d’anges ? Bayle[3] a traité fort au long la question si les chrétiens de la primitive Église pouvaient être des philosophes, des politiques, et des guerriers ? Cette question est assez oiseuse. Mais on veut enchérir sur Bayle, on répète ce qu’il a dit ; et, dans la crainte de n’être qu’un plagiaire, on se sert de termes hasardés qui, au fond, ne signifient rien : car quels que soient les dogmes des nations, elles feront toujours la guerre.

  1. Le texte de Rousseau porte, livre IV, chap. viii : «… ne purent longtemps reconnaître un même maître. »
  2. Livre IV, chap. viii.
  3. Continuation des pensées diverses, paragraphe cxxiv ; et Réponse aux questions d’un provincial, troisième partie, chap. xxviii, etc.