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4^0 D'UN FAIT SINGULIER

l'ouvrage avaient l'approbation universelle. Le livre était muni de toutes les formalités qui en assuraient le déi3it. Les souscrip- teurs de tous les pays de l'Europe, qui avaient avancé leur argent, le croyaient en sûreté sous la sauvegarde du sceau du roi, et se flattaient de recevoir sans difficulté le prix de leurs avances : car si, de la part des auteurs, cet ouvrage était un service gratuit rendu à l'esprit humain, ce service était entre les souscripteurs et les libraires une convention d'intérêt à laquelle on ne pouvait manquer.

L'envie se déchaîna et arma bientôt le fanatisme. Ces deux ennemis de la raison et des talents dénoncèrent au parlement de Paris un dictionnaire qui ne semblait pas devoir être l'objet d'un procès, et qui, d'ailleurs, étant revêtu du sceau de l'approbation royale, paraissait devoir être hors de toute atteinte.

Les jésuites furent les premiers à poursuivre, autant qu'ils le purent, ce grand ouvrage ; parce qu'ayant demandé à faire les articles de théologie ils avaient été refusés. Les jésuites ne se dou- taient pas alors qu'ils seraient bientôt après proscrits* par ces mêmes parlements qu'ils voulaient engager sous main à s'armer contre V Encyclopédie.

Les jansénistes firent ce que les jésuites avaient voulu faire : ils s'aperçurent que tous ceux qui voulaient bien consacrer leurs travaux à ce dictionnaire, regardant l'impartialité comme leur première loi, n'étaient ni pour les jésuites ni pour les jansénistes, et que, s'étant dévoués uniquement à la recherche de la vérité, ils excitaient l'horreur contre le fanatisme.

Ainsi deux partis acharnés l'un contre l'autre se réunirent à peu près, si on peut le dire, comme des voleurs suspendent leurs querelles pour ravir des dépouilles. Ils prirent le masque ordi- naire de la piété ; ils dénoncèrent plusieurs articles, et par un raffinement de méchanceté dont il n'y avait point eu d'exemple dans les controverses les plus furieuses, n'osant reprendre dans le Dictionnaire de VEncyclopèdie des articles qui les effarouchaient, ils accusèrent les auteurs, non pas de ce qu'ils avaient dit, mais de ce qu'ils diraient un jour; ils prétendirent que les renvois d'une matière à une autre étaient misa dessein de répandre dans les derniers tomes le poison qu'on ne pouvait trouver dans les premiers. Ils s'élevèrent ainsi contre d'autres articles de la théo- logie la plus orthodoxe, les croyant composés par ceux qu'ils voulaient perdre.

1. Voyez tome \V, page 3US ; el \M, 100.

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