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PRÉFACE.

celle dont toutes les personnes de son rang veulent l’étudier.

Il est vrai que, dans ce volume que je donne malgré moi, je laisse toujours voir l’effet qu’ont fait sur mon esprit les objets que je considère. Mais ce compte que je me rendais de mes lectures avec une naïveté qu’on n’a presque jamais quand on écrit pour le public est précisément ce qui pourra être utile. Chaque lecteur en est bien plus à portée d’asseoir son jugement en rectifiant le mien ; et quiconque pense fait penser.

Par exemple, lorsque Louis XI, au lieu de tâcher de reprendre Calais sur Édouard IV, qui devait avoir en Angleterre assez d’embarras, achète la paix de lui, et se fait son tributaire, cette conduite me paraît peu glorieuse ; mais elle peut paraître très-politique à un homme qui considérera que le duc de Bourgogne aurait pu prendre le parti du roi d’Angleterre contre la France. Un autre se représentera que le grand François de Guise prit Calais sur la reine Marie d’Angleterre dans le temps que Philippe II, mari de cette reine, était bien plus à craindre qu’un duc de Bourgogne. Un autre cherchera dans le caractère même de Louis XI le motif de sa conduite. Voilà comme l’histoire peut être utile ; et ce faible ouvrage peut l’être en faisant naître des réflexions meilleures que les miennes.

Savoir que François Ier fut prisonnier de Charles-Quint en 1525, c’est ne mettre qu’un fait dans sa mémoire ; mais rechercher pourquoi Charles profita si peu de son bonheur, cela est d’un lecteur judicieux. Non-seulement il verra la fortune de Charles-Quint balancée par la jalousie des nations, mais les conquêtes en Europe de Soliman, son ennemi, arrêtées par ses guerres avec les Persans ; et il découvrira tous ces contre-poids, qui empêchent une puissance d’écraser les autres.

Réduit ainsi très à regret, par une infidélité que je n’attendais pas, à publier mes anciennes études, je me console dans l’espérance qu’elles pourront en produire de plus solides. Cette manière de s’instruire est déjà fort goûtée par plusieurs personnes qui, n’ayant pas le temps de consulter la foule des livres et des détails, sont bien aises de se former un tableau général du monde.

C’est dans cet esprit que j’ai crayonné le Siècle de Louis XIV. Les lois, les arts, les mœurs, ont été mon principal objet. Les petits faits ne doivent entrer dans ce plan que lorsqu’ils ont produit des événements considérables. Il est fort indifférent que la ville de Creutznach ait été prise le 21 septembre, ou le 22, en 1688 ; que l’épouse d’un neveu de Mme de Maintenon soit nommée