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PRÉFACE.

sa nièce[1] ; mais il est important de savoir que jamais Louis XIV n’eut la moindre part au testament du roi d’Espagne Charles II, lequel changea la face de l’Europe ; et que la paix de Rysvick ne fut point faite dans la vue de faire tomber la monarchie d’Espagne à un fils de France, comme on l’avait toujours cru, et comme l’a pensé milord Bolingbroke lui-même, qui en cela s’est trompé. Les querelles domestiques de la reine Anne d’Angleterre ne sont pas par elles-mêmes un objet d’attention ; mais elles le deviennent, parce qu’elles sont en effet l’origine d’une paix sans laquelle la France courait risque d’être démembrée.

Les détails qui ne mènent à rien sont, dans l’histoire, ce que sont les bagages dans une armée, impedimenta. Il faut voir les choses en grand, par cela même que l’esprit humain est petit, et qu’il s’affaisse sous le poids des minuties ; elles doivent être recueillies par les annalistes, et dans des espèces de dictionnaires où on les trouve au besoin.

Quand on étudie ainsi l’histoire, on peut se mettre sans confusion les siècles devant les yeux. Il est aisé alors d’apercevoir le caractère des temps de Louis XIV, de Charles-Quint, d’Alexandre VI, de saint Louis, de Charlemagne. C’est à la peinture des siècles qu’il faut s’attacher.

Les portraits des hommes sont presque tous faits de fantaisie. C’est une grande charlatanerie de vouloir peindre un personnage avec qui on n’a point vécu. Salluste a peint Catilina ; mais il avait connu sa personne. Le cardinal de Retz fait des portraits de tous ses contemporains qui ont joué de grands rôles : il est en droit de peindre ce qu’il a vu et connu. Mais que souvent la passion a tenu le pinceau ! Les hommes publics des temps passés ne peuvent être caractérisés que par les faits.

Je ne sais pourquoi le traducteur estimable des Lettres du lord Bolingbroke[2] me reproche d’avoir jugé du cardinal Mazarin sur des vaudevilles. Je ne l’ai point jugé ; j’ai exposé sa conduite, et je ne crois pas aux vaudevilles. Ce traducteur me permettra de lui dire que c’est lui qui se trompe sur les faits en jugeant le cardinal Mazarin. Ce ministre, dit-il, avait trouvé la France dans le plus grand embarras. Le contraire est exactement vrai. Quand le cardinal Mazarin vint au ministère, la France était tranquille au dedans,

  1. Mme de Villette ; voyez tome XIV, le chapitre xxvii du Siècle de Louis XIV.
  2. Les Lettres sur l’histoire, par milord Bolingbroke, ont été traduites eu français par Barbeu du Bourg, 1752, deux volumes in-12. Elles sont au nombre de huit. La fin de la sixième et les deux dernières furent reproduites par Maubert de Gouvest, dans le volume dont il est parlé en la note 1 de la page 50.