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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/58

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PRÉFACE.

et victorieuse au dehors, par les batailles de Rocroi et de Norlingue, et par les grands succès des Suédois dans l’empire.

Il laissa au roi, dit-il, des finances en meilleur ordre que l’on n’eut jamais vu. Quelle erreur ! Ne sait-on pas que Charles le Sage, François Ier, laissèrent des trésors ? que le grand Henri avait quarante millions de livres numéraires dans ses coffres, et que le royaume fleurissait par la régie la plus sage lorsque sa mort funeste fit place à l’administration d’une régence prodigue et tumultueuse ? Les finances du cardinal Mazarin étaient en très-bon ordre à la vérité ; mais celles de l’État étaient si dérangées que le surintendant avait dit souvent à Louis XIV : Il n’y a point d’argent dans les coffres de Votre Majesté, mais M. le cardinal vous en prêtera. Les revenus de l’État étaient si mal administrés qu’on fut obligé d’ériger une chambre de justice. On voit, par les Mémoires de Gourville, quel avait été le brigandage : l’ordre ne fut mis que par le grand Colbert.

Les plus belles années de Louis XIV, dit-il, sont celles qui ont suivi immédiatement la mort de Mazarin, où son esprit régnait encore. Comment l’esprit du cardinal Mazarin régnait-il donc dans la conquête de la Franche-Comté, et de la moitié de la Flandre dont il avait rendu tant de villes ? dans l’établissement d’une marine, que le cardinal avait laissé dépérir entièrement ? dans la réforme des lois, qu’il ignorait ? dans l’encouragement des arts, qu’il méprisa ?

M. de V*** entreprend de démontrer que le prince d’Orange n’était aucunement redouté en France, etc. On ne démontre qu’une proposition de mathématique ; mais il est très-vrai que, quand on crut en France que le prince d’Orange, ou plutôt le roi Guillaume, avait été tué à la bataille de la Boyne, les feux de joie que le peuple de Paris fit si indécemment étaient l’effet de la haine, et non de la crainte. Il est très-vrai qu’on ne craignait point à Paris l’invasion d’un prince qui avait assez d’affaires en Irlande, et qui avait toujours été vaincu en Flandre. Les hommes d’État et de guerre pouvaient estimer le roi Guillaume ; mais le peuple de Paris ne pouvait certainement le redouter. On a pu craindre dans Paris le prince Eugène et le duc de Marlborough, quand ils ravageaient la Champagne ; mais il n’est pas dans la nature humaine qu’on tremble dans une capitale au nom d’un ennemi qui n’a jamais entamé les frontières d’un royaume alors toujours victorieux.

Le duc de Berry, à toute force, peut avoir dit aux princes ses frères : Vous serez, l’un roi de France, et l’autre roi d’Espagne, et moi je serai le prince d’Orange : je vous ferai enrager tous deux. Mais le traducteur de milord Bolingbroke doit observer qu’on peut faire