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PRÉFACE.

enrager, et être battu ; il doit observer qu’un critique peut se tromper aussi bien qu’un historien, et il aurait dû tâcher de n’avoir pas tort dans toutes ses critiques.

Il dit à la tête des Mémoires secrets[1] du même Bolingbroke que je veux proscrire les faits. Je voudrais, au contraire, qu’il y eût des faits dans ces Mémoires, qui en sont absolument destitués ; et je voudrais, pour l’honneur de milord Bolingbroke, que ces Mémoires eussent toujours été secrets.

Je crois devoir dire ici un mot de l’édition qu’un critique d’un autre genre a faite du Siècle de Louis XIV. Il a jugé à propos d’imprimer mon ouvrage avec ses notes, et il a trouvé le secret de faire un libelle, d’un monument élevé à la gloire de la nation par les mains de la vérité. C’est un exemple rare de ce que peuvent hasarder l’ignorance et la calomnie en démence.

La littérature est un terrain qui produit des poisons comme des plantes salutaires. Il se trouve des misérables qui, parce qu’ils savent lire et écrire, croient se faire un état dans le monde en vendant des scandales à des libraires, au lieu de prendre un métier honnête, ne sachant pas que la profession d’un copiste, ou même celle d’un laquais fidèle, est très-préférable à la leur. Celui dont je parle vend et fait imprimer ce tissu de sottises sous le titre de Siècle de Louis XIV, en trois volumes avec des notes, par M. L. B.[2], à Francfort ; et, après avoir été si justement puni pour

  1. Les Mémoires secrets sur les affaires d’Angleterre, depuis 1710 jusqu’en 1716, ont été traduits par Favier, 1754, trois volumes in-8o.
  2. Le personnage que M. de Voltaire dédaigne ici de nommer est un nommé Angliviel de La Beaumelle. Nous ne savons de quel pays il est. Il a été élevé à Genève pour être ministre du saint Évangile ; ayant depuis été renvoyé de Copenhague, nous savons, avec tout le pays, qu’il passa à Gotha, d’où il s’enfuit avec une femme de chambre qui avait volé sa maîtresse. Réfugié à Francfort, il y fit imprimer un misérable libelle, intitulé le Qu’en dira-t-on, ou Mes Pensées, dans lequel il outrage impudemment S. A. S. monseigneur le duc de Saxe-Gotha, en le nommant par son nom. Il vomit des injures abominables contre toute la cour de Dresde, contre nos ministres, et contre les personnes sacrées de nos augustes souverains ; il désigne indignement, par leurs propres et privés noms, les personnages les plus respectables de la Suisse, MM. d’Orlac, de Sinner, de Vatteville, de Diesbach, et toute la régence de Berne. Il injurie milord Bath, et attaque, par des grossièretés, une infinité d’honnêtes gens qu’il n’a jamais connus. Ce polisson, dans le même livre, pousse la folie jusqu’à dire qu’une « république fondée par un voleur comme Cartouche serait une excellente république », et que « l’âme de Cartouche ressemblait à celle du grand Condé ».

    La même extravagance atroce règne dans les notes ignorantes qu’il a vendues pour quinze ducats au libraire Eslinger, de Francfort. Il y vomit des calomnies horribles contre les plus grands hommes, et surtout contre la maison d’Orléans : c’est pour cela qu’il a été enfermé. Il est bon de faire connaître de pareilles canailles, comme on donne, dans les gazettes, le renseignement des voleurs de