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III.

(4 avril 1764.)

Je ne sais pas, messieurs, s’il vous est tombé entre les mains un ouvrage anglais intitulé Éléments de critique, publié l'année dernière en Angleterre par M. Henri Home 1, lord Kaims. Permettez-moi de vous soumettre quelques singularités curieuses sur cet ouvrage 2.

On ne peut avoir une plus profonde connaissance de la nature et des arts que ce philosophe, et il fait tous ses efforts pour que le monde soit aussi savant que lui. Il nous prouve d'abord que nous avons cinq sens, et que nous sentons moins l’impression douce faite sur nos yeux et sur nos oreilles par les couleurs et par les sons que nous ne sentons un grand coup sur la jambe ou sur la tête.

Il nous instruit de la différence que tout homme éprouve entre une simple émotion et une passion de l'âme ; il nous apprend que les femmes passent quelquefois de la pitié à l’amour. Il pouvait citer l’exemple d’Angélique dans l’Arioste, si bien imité par Quinault 3 :

La pitié pour Médor a trop su m’attendrir;
Ma funeste langueur s’augmentait à mesure
Qu’il guérissait de sa blessure :
Et je suis en danger de n’en jamais guérir.

Mais tout Écossais qu’est M. Home, il aime mieux citer une tragédie anglaise : c’est Othello, ce Maure de Venise si fameux à Londres. Il fallait que la maîtresse d’Othello fût bien pitoyable pour devenir amoureuse d’un nègre qui parlait de cavernes, de déserts, de cannibales, d’anthropophages, et qui lui disait qu'il avait été sur le point de la noyer.

De là, passant à la mesure du temps et de l’espace, .M. Home conclut mathématiquement que le temps est long pour une fille

1. Voltaire parle encore de Home, tome XVJI, page 407; et XXI, 300. Home, jurisconsulte et agronome, était un philosophe appartenant à l’école écossaise dont son ami Reid était le chef.

2. Les éditeurs de Kehl, qui avaient fait entrer cet article dans le Dictionnaire philosophique, en avaient changé le début.

3. Roland, acte I, scène ii.