Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/357

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barde, nommée par abus Église romaine, lesquels droits des rois franks et de la nation gallo-franke sont les droits naturels de tous les rois et de toutes les nations.

Tout le système de l’assemblée du clergé frank roule sur ces paroles de je ne sais quel papa transalpin, nommé Gelas :

« Deux puissances sont établies pour gouverner les hommes : l’autorité sacrée des pontifes[1], et celle des rois. »

Mes frères, notre obéissance aux lois de notre vaste empire, la vérité et l’humilité chrétienne, exigent que nous vous instruisions sur la nature de ces deux puissances, sur l’abus de ces mots inconnus dans toute notre Église, et que nous nous hâtions de vous prémunir contre ces erreurs pernicieuses, nées dans les ténèbres de l’Occident, comme disait notre grand patriarche Photius.


DES DEUX PUISSANCES.

Il faut d’abord, mes frères, savoir ce que c’est que puissance : car si on ne définit les mots, on ne s’entend jamais, et l’équivoque que les Grecs nomment logomachie est l’origine de toutes disputes, et les disputes ont produit le trouble dans tous les temps.

Puissance, chez les hommes, signifie faculté convenue de faire des lois, et de les appuyer par la force.

Ainsi, depuis près de cinq mille ans, nos voisins les empereurs de la Chine ont eu légitimement la puissance ; notre auguste impératrice jouit du même droit ; le monarque frank a les mêmes prérogatives ; le roi d’Angleterre jouit du même pouvoir quand il est d’accord avec ses états généraux nommés parlement ; mais jamais chez aucun peuple de l’antiquité, ni à la Chine, ni dans l’empire romain d’Orient ou d’Occident, on n’entendit parler de deux puissances dans un État : c’est une imagination pernicieuse, c’est une espèce de manichéisme qui, établissant deux principes, livrerait l’univers à la discorde.

Pendant les premiers siècles du christianisme, cette distinction séditieuse de deux puissances fut entièrement ignorée, et par cela seul elle est condamnable. Il suffit d’avoir lu l’Évangile pour savoir que le royaume de Jésus-Christ n’est point de ce monde[2] ; que dans ce royaume il n’y a ni premier ni dernier[3] ;

  1. Il faut remarquer que les évêques sont nommés avant les rois, et que le mot sacrée n’est ici que pour eux, et non pas pour les rois, qui cependant sont très-sacrés. (Note de Voltaire.)
  2. Jean, xviii, 36.
  3. Matth., XIX, 30 ; xx, 16 ; — Marc, x, 31 ; — Luc, xiii, 30.