Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/382

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comment les philosophes peuvent admettre les miracles.

Hobbes, Collins, milord Bolingbroke, et d’autres, demandent d’abord s’il est vraisemblable que Dieu dérange le plan de l’univers ; si l’Être éternel, en faisant ses lois, ne les a pas faites éternelles ; si l’Être immuable ne l’est pas dans ses ouvrages ; s’il est vraisemblable que l’Être infini ait des vues particulières, et qu’ayant soumis toute la nature à une règle universelle, il la viole pour un seul canton dans ce petit globe ? si, tout étant visiblement enchaîné, un seul chaînon de la chaîne universelle peut se déranger sans que la constitution de l’univers en souffre ? si, par exemple, la terre s’étant arrêtée pendant neuf à dix heures dans sa course, et la lune dans la sienne, pour favoriser la défaite de quelques centaines d’Amorrhéens, il n’était pas absolument nécessaire que tout le reste du monde planétaire fût bouleversé ?

Il est évident que la terre et la lune s’arrêtant dans leur cours, l’heure des marées a dû changer. Les points de ces deux planètes, dirigés vers les points correspondants des autres astres, ont dû avoir une nouvelle direction, ou toutes les autres planètes ont dû s’arrêter aussi. Le mouvement de projectile et de gravitation ayant été suspendu dans toutes les planètes, il faut que les comètes s’en soient ressenties : le tout pour tuer quelques malheureux déjà écrasés par une pluie de pierres ; tandis qu’il paraissait plus digne de la sagesse éternelle d’éclairer et de rendre heureux tous les hommes sans miracle, que d’en faire un si grand dans la seule vue de donner à Josué plus de temps pour achever de massacrer quelques fuyards assommés.

C’est bien pis quand il s’agit de l’étoile nouvelle qui parut dans les cieux, et qui conduisit les mages d’orient en occident. Cette étoile ne pouvait être moindre que notre soleil, qui surpasse la terre un million de fois en grosseur. Cette masse énorme, ajoutée à l’étendue, devait déranger le monde entier composé de ces soleils innombrables appelés étoiles, qui probablement sont entourés de planètes. Mais que dut-il arriver quand elle marcha dans l’espace malgré la loi qui retient toutes les étoiles fixes dans leurs places ? Les effets d’une telle marche sont inconcevables.

Voilà donc non-seulement notre monde planétaire bouleversé, mais tous les mondes possibles aussi, et pourquoi ? Pour que dans ce petit tas de boue appelé la terre, les papes s’emparassent enfin