Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/384

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dispute. Les incrédules ne disent pas : Moïse a trompé six cent trente mille soldats qui ont cru voir ce qu’ils n’avaient pas vu ; ils disent : Il est impossible que Moïse ait eu six cent trente mille soldats, ce qui supposerait près de trois millions de personnes ; et il est impossible que soixante-dix Hébreux, réfugiés en Égypte, aient produit trois millions d’habitants en deux cent quinze ans[1].

Il n’est pas probable que si Moïse avait eu trois millions de suivants à ses ordres, et Dieu à leur tête, il se fût enfui en lâche ; il n’est pas probable que, s’il a écrit, il ait écrit autrement que sur des pierres ; il est dit que Josué fit écrire tout le Deutéronome[2] sur un autel de pierres brutes, enduites de mortier : il n’est pas probable que le dépôt de ces pierres se soit conservé, quand les Juifs furent esclaves après Josué ; il ne l’est pas que Moïse ait écrit, il ne l’est pas même qu’il ait existé ; et d’ailleurs toute la théogonie des Juifs semble prise des Phéniciens, auprès de qui la troupe juive eut très-tard un très-petit établissement.

Il vous appartient, monsieur, beaucoup plus qu’au docteur Abbadie, de réfuter tous ces vains raisonnements, et de montrer que si la nation juive est beaucoup plus récente que les nations de Phénicie, de Chaldée, d’Égypte, la race juive remonte plus haut dans l’antiquité. Vous descendrez d’Adam à Abraham, et d’Abraham à Moïse. Vous ferez voir que Dieu s’est manifesté par des miracles continuels à cette race chérie et réprouvée ; vous nous apprendrez par quels ressorts secrets de la Providence les Juifs, toujours gouvernés par Dieu même, et commandant si souvent en maîtres à la nature entière, ont été pourtant le plus malheureux de tous les peuples, ainsi que le plus petit, le plus ignorant, le plus cruel et le plus absurde ; comment il fut à la fois miraculeux par la protection et par la punition divine, par sa splendeur secrète, et par son abrutissement connu. On nous objecte sa grossièreté ; mais la grandeur de son Dieu en éclate davantage. On nous objecte que les lois de ce peuple ne lui parlaient point de l’immortalité de l’âme ; mais Dieu, qui le gouvernait, le punissait ou le récompensait en cette vie par des effets miraculeux.

Qui mieux que vous pourra démontrer que Dieu, ayant choisi un peuple, devait le conduire autrement que les législateurs

  1. L’édition originale de 1765, les réimpressions de 1765 et 1767 portent ici : Deux cent cinq ans ; et en note : Le texte dit quatre cents ans : mais, en supputant, on n’en trouve que deux cent cinq. (B.)
  2. Josué, vii, 32.