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SI LA TOLÉRANCE EST DANGEREUSE.

et enrichie ne verra plus ses citoyens catholiques sacrifier à Dieu pendant deux mois ses citoyens protestants, les enterrer vivants, suspendre les mères à des gibets, attacher les filles au cou de leurs mères, et les voir expirer ensemble ; ouvrir le ventre des femmes enceintes, en tirer les enfants à demi formés, et les donner à manger aux porcs et aux chiens ; mettre un poignard dans la main de leurs prisonniers garrottés, et conduire leurs bras dans le sein de leurs femmes, de leurs pères, de leurs mères, de leurs filles, s’imaginant en faire mutuellement des parricides, et les damner tous en les exterminant tous. C’est ce que rapporte Rapin-Thoiras, officier en Irlande, presque contemporain ; c’est ce que rapportent toutes les annales, toutes les histoires d’Angleterre, et ce qui sans doute ne sera jamais imité[1]. La philosophie, la seule philosophie, cette sœur de la religion, a désarmé des mains que la superstition avait si longtemps ensanglantées ; et l’esprit humain, au réveil de son ivresse, s’est étonné des excès où l’avait emporté le fanatisme.

Nous-mêmes, nous avons en France une province opulente où le luthéranisme l’emporte sur le catholicisme. L’université d’Alsace est entre les mains des luthériens ; ils occupent une partie des charges municipales : jamais la moindre querelle religieuse n’a dérangé le repos de cette province depuis qu’elle appartient à nos rois. Pourquoi ? C’est qu’on n’y a persécuté personne. Ne cherchez point à gêner les cœurs, et tous les cœurs seront à vous.

Je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les places et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante[2]. En Angleterre, les catholiques, regardés comme attachés au parti du prétendant, ne peuvent parvenir aux emplois : ils payent même double taxe ; mais ils jouissent d’ailleurs de tous les droits des citoyens.

On a soupçonné quelques évêques français de penser qu’il n’est ni de leur honneur ni de leur intérêt d’avoir dans leur dio-


    logie de Louis XIV (voyez tome XXIV, la note 1 de la page 476), a écrit en effet la phrase citée par Voltaire. Les Français, dans la guerre de 1757, furent malheureux dans les quatre parties du monde (voyez tome XV, page 355) ; il est question du fou de Verberie tome XX, page 457.

  1. Tout a tellement changé qu’en Irlande même les protestants se sont cotisés pour faire bâtir des chapelles à leurs frères catholiques, que la pauvreté où l’ancienne intolérance les a réduits mettait hors d’état d’en élever à leurs dépens. (K.)
  2. En lisant cette phrase, qui paraît insuffisante, on ne doit pas négliger de jeter les yeux sur la dernière phrase du chapitre. Voyez aussi, page 48, la note des éditeurs de Kehl.