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SOPHRONIME ET ADÉLOS.

orateur, le premier philosophe de Rome, m’eût appris bien nettement s’il y a des âmes, ce qu’elles sont, pourquoi elles sont faites, ce qu’elles deviennent. Hélas ! sur ces grands et éternels objets de la curiosité humaine, Cicéron n’en sait pas plus que le dernier sacristain d’Isis ou de la déesse de Syrie.

Cher Sophronime, je me rejette entre vos bras ; ayez pitié de ma faiblesse. Faites-moi un petit résumé de ce que vous me disiez ces jours passés sur tous ces objets de doute.

Sophronime.

Mon ami, j’ai toujours suivi la méthode de l’éclectisme ; j’ai pris dans toutes les sectes ce qui m’a paru le plus vraisemblable. Je me suis interrogé moi-même de bonne foi : je vais encore vous parler de même, tandis qu’il me reste assez de force pour rassembler mes idées, qui vont bientôt s’évanouir.

1° J’ai toujours, avec Platon et Cicéron, reconnu dans la nature un pouvoir suprême, aussi intelligent que puissant, qui a disposé l’univers tel que nous le voyons. Je n’ai jamais pu penser avec Épicure que le hasard, qui n’est rien, ait pu tout faire. Comme j’ai vu toute la nature soumise à des lois constantes, j’ai reconnu un législateur ; et comme tous les astres se meuvent selon des règles d’une mathématique éternelle, j’ai reconnu avec Platon l’éternel Géomètre.

2° De là descendant à ses ouvrages, et rentrant dans moi-même, j’ai dit : Il est impossible que dans aucun des mondes infinis qui remplissent l’univers, il y ait un seul être qui se dérobe aux lois éternelles ; car celui qui a tout formé doit être maître de tout. Les astres obéissent ; le minéral, le végétal, l’animal, l’homme, obéissent donc de même.

3° Je ne connais le secret ni de la formation, ni de la végétation, ni de l’instinct animal, ni de l’instinct et de la pensée de l’homme. Tous ces ressorts sont si déliés qu’ils échappent à ma vue faible et grossière. Je dois donc penser qu’ils sont dirigés par les lois du Fabricateur éternel.

4° Il a donné aux hommes organisation, sentiment et intelligence ; aux animaux, organisation, sentiment, et ce que nous appelons instinct ; aux végétaux, organisation seule. Sa puissance agit donc continuellement sur ces trois règnes.

5° Toutes les substances de ces trois règnes périssent les unes après les autres. Il en est qui durent des siècles, d’autres qui vivent un jour ; et nous ne savons pas si les soleils qu’il a formés ne seront pas à la fin détruits comme nous.

6° Ici vous me demanderez si je pense que nos âmes périront