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la vérité ignorée, mais enfin il a écrit, et il a entendu dire à d’autres, que nous venons cent ans trop tard pour élever nos voix contre l’intolérance, que la barbarie a fait place à la douceur, qu’il n’est plus temps de se plaindre. Je répondrai à ceux qui parlent ainsi : Voyez ce qui se passe sous vos yeux, et si vous avez un cœur humain vous joindrez votre compassion à la nôtre. On a pendu en France huit malheureux prédicants, depuis l’année 1745. Les billets de confession ont excité mille troubles ; et enfin un malheureux fanatique de la lie du peuple, ayant assassiné son roi en 1757, a répondu devant le parlement, à son premier interrogatoire[1], qu’il avait commis ce parricide par principe de religion ; et il a ajouté ces mots funestes : « Qui n’est bon que pour soi n’est bon à rien. » De qui les tenait-il ? qui faisait parler ainsi un cuistre de collége, un misérable valet[2] ? Il a soutenu à la torture, non-seulement que son assassinat était « une œuvre méritoire[3] », mais qu’il l’avait entendu dire à tous les prêtres dans la grand’salle du Palais où l’on rend la justice.

La contagion du fanatisme subsiste donc encore. Ce poison est si peu détruit qu’un prêtre[4] du pays des Calas et des Sirven a fait imprimer, il y a quelques années, l’apologie de la Saint-Barthélemy. Un autre[5] a publié la justification des meurtriers du curé Urbain Grandier ; et quand le Traité aussi utile qu’humain de la Tolérance a paru en France, on n’a pas osé en permettre le débit publiquement. Ce traité a fait à la vérité quelque bien ; il a dissipé quelques préjugés ; il a inspiré de l’horreur pour les persécutions et pour le fanatisme ; mais, dans ce tableau des barbaries religieuses, l’auteur a omis bien des traits qui auraient rendu le tableau plus terrible, et l’instruction plus frappante.

On a reproché à l’auteur d’avoir été un peu trop loin lorsque, pour montrer combien la persécution est détestable et insensée, il introduit un parent de Ravaillac[6] proposant au jésuite Le Tellier d’empoisonner tous les jansénistes. Cette fiction pourrait en effet paraître trop outrée à quiconque ne sait pas jusqu’où peut aller la rage folle du fanatisme. On sera bien surpris quand on apprendra que ce qui est une fiction dans le Traité de la Tolérance est une vérité historique.

  1. Page 131 du Procès de Damiens. (Note de Voltaire.)
  2. Page 135. (Id.)
  3. Page 405. (Id.)
  4. L’abbé de Caveyrac. (Id.) — Voyez la note, tome XXIV, page 476.
  5. L’abbé de La Menardaye. (Id.) — Voyez la note, tome XXIV, page 475.
  6. Voyez page 96 du présent volume.