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AVIS AU PUBLIC


-même. Examinez ce qui vous revient de vouloir dominer sur les consciences. Vous serez suivi de quelques imbéciles, et vous serez en horreur à tous les esprits raisonnables. Si vous êtes persuadé, vous êtes un tyran d’exiger que les autres soient persuadés comme vous ; si vous ne croyez pas, vous êtes un monstre d’enseigner ce que vous méprisez, et de persécuter ceux mêmes dont vous partagez les opinions. En un mot, la tolérance mutuelle est l’unique remède aux erreurs qui pervertissent l’esprit des hommes d’un bout de l’univers à l’autre.

Le genre humain est semblable à une foule de voyageurs qui se trouvent dans un vaisseau ; ceux-là sont à la poupe, d’autres à la proue, plusieurs à fond de cale, et dans la sentine. Le vaisseau fait eau de tous côtés, l’orage est continuel : misérables passagers qui serons tous engloutis ! faut-il qu’au lieu de nous porter les uns aux autres les secours nécessaires qui adouciraient le passage, nous rendions notre navigation affreuse ! Mais celui-ci est nestorien, cet autre est juif ; en voilà un qui croit à un Picard[1], un autre à un natif d’Islèbe[2] ; ici est une famille d’ignicoles, là sont des musulmans, à quatre pas voilà des anabaptistes. Hé ! qu’importent leurs sectes ? Il faut qu’ils travaillent tous à calfater le vaisseau, et que chacun, en assurant la vie de son voisin pour quelques moments, assure la sienne ; mais ils se querellent, et ils périssent.

CONCLUSION.

Après avoir montré aux lecteurs cette chaîne de superstitions qui s’étend de siècle en siècle jusqu’à nos jours, nous implorons les âmes nobles et compatissantes, faites pour servir d’exemple aux autres ; nous les conjurons de daigner se mettre à la tête de ceux qui ont entrepris de justifier et de secourir la famille des Sirven. L’aventure effroyable des Calas, à laquelle l’Europe s’est intéressée, n’aura point épuisé la compassion des cœurs sensibles ; et puisque la plus horrible injustice s’est multipliée, la pitié vertueuse redoublera.

On doit dire, à la louange de notre siècle et à celle de la philosophie, que les Calas n’ont reçu les secours qui ont réparé leur malheur que des personnes instruites et sages qui foulent le fanatisme à leurs pieds. Pas un de ceux qu’on appelle dévots, je

  1. Calvin, né à Noyon.
  2. Luther, né à Eisleben en Saxe.