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DES MARTYRS.

si le soir, après la procession, il avait examiné paisiblement l’histoire du corbeau, des centaures, et des satyres, on n’aurait rien eu à lui reprocher.

Quoi ! les Romains auraient souffert que l’infâme Antinoüs fût mis au rang des seconds dieux, et ils auraient déchiré, livré aux bêtes, tous ceux auxquels on n’aurait reproché que d’avoir paisiblement adoré un juste ! Quoi ! ils auraient reconnu un Dieu suprême[1], un Dieu souverain, maître de tous les dieux secondaires, attesté par cette formule : Deus optimus maximus ; et ils auraient recherché ceux qui adoraient un Dieu unique !

Il n’est pas croyable que jamais il y eut une inquisition contre les chrétiens sous les empereurs, c’est-à-dire qu’on soit venu chez eux les interroger sur leur croyance. On ne troubla jamais sur cet article ni Juif, ni Syrien, ni Égyptien, ni bardes, ni druides, ni philosophes. Les martyrs furent donc ceux qui s’élevèrent contre les faux dieux. C’était une chose très-sage, très-pieuse de n’y pas croire ; mais enfin si, non contents d’adorer un Dieu en esprit et

  1. Il n’y a qu’à ouvrir Virgile pour voir que les Romains reconnaissaient un Dieu suprême, souverain de tous les êtres célestes.

    … Ô ! qui res hominumque deumque
    Æternis regis imperiis, et fulmine terres.

    (Æn., I, 233-34.)

    Ô pater, ô hominum divumque æterna potestas, etc.

    (Æn., X, 18.)

    Horace s’exprime bien plus fortement :

    Unde nil majus generatur ipso,
    Nec viget quidquam similo, aut secundum.

    (Lib. I, od. xii, 17-18.)

    On ne chantait autre chose que l’unité de Dieu dans les mystères auxquels presque tous les Romains étaient initiés. Voyez le bel hymne d’Orphée ; lisez la lettre de Maxime de Madaure à saint Augustin, dans laquelle il dit « qu’il n’y a que des imbéciles qui puissent ne pas reconnaître un Dieu souverain ». Longinien étant païen écrit au même saint Augustin que Dieu « est unique, incompréhensible, ineffable » ; Lactance lui-même, qu’on ne peut accuser d’être trop indulgent, avoue, dans son livre V (Divin. Institut., c. iii), que « les Romains soumettent tous les dieux au Dieu suprême ; illos subjicit et mancipat Deo ». Tertullien même, dans son Apologétique (c. xxiv), avoue que tout l’empire reconnaissait un Dieu maître du monde, dont la puissance et la majesté sont infinies, principem mundi, perfectæ potentiæ et majestatis. Ouvrez surtout Platon, le maître de Cicéron dans la philosophie, vous y verrez « qu’il n’y a qu’un Dieu ; qu’il faut l’adorer, l’aimer, travailler à lui ressembler par la sainteté et par la justice ». Épictète dans les fers, Marc-Antoine sur le trône, disent la même chose en cent endroits. (Note de Voltaire.) — La lettre de Maxime de Madaure, dont Voltaire parle dans cette note, se trouve tome XVIII, page 361 ; et plus loin, dans le dialogue de Sophronime et Adélos.