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CHAPITRE IX.

en vérité, ils éclatèrent violemment contre le culte reçu, quelque absurde qu’il pût être, on est forcé d’avouer qu’eux-mêmes étaient intolérants[1].

Tertullien, dans son Apologétique, avoue[2] qu’on regardait les chrétiens comme des factieux : l’accusation était injuste, mais elle prouvait que ce n’était pas la religion seule des chrétiens qui excitait le zèle des magistrats. Il avoue[3] que les chrétiens refusaient d’orner leurs portes de branches de laurier dans les réjouissances publiques pour les victoires des empereurs : on pouvait aisément prendre cette affectation condamnable pour un crime de lèse-majesté.

La première sévérité juridique exercée contre les chrétiens fut celle de Domitien ; mais elle se borna à un exil qui ne dura pas une année : « Facile cœptum repressit, restitutis etiam quos relegaverat », dit Tertullien (chap, v). Lactance, dont le style est si emporté, convient que, depuis Domitien jusqu’à Décius, l’Église fut tranquille et florissante[4]. Cette longue paix, dit-il, fut interrompue quand cet exécrable animal Décius opprima l’Église : « Exstitit enim post annos plurimos exsecrabile animal Decius, qui vexaret Ecclesiam. » (Apol., chap. iv.)

On ne veut point discuter ici le sentiment du savant Dodwell sur le petit nombre des martyrs[5] ; mais si les Romains avaient tant persécuté la religion chrétienne, si le sénat avait fait mourir tant d’innocents par des supplices inusités, s’ils avaient plongé des chrétiens dans l’huile bouillante, s’ils avaient exposé des filles toutes nues aux bêtes dans le cirque, comment auraient-ils laissé en paix tous les premiers évêques de Rome ? Saint Irénée ne compte pour martyr parmi ces évêques que le seul Télesphore, dans l’an 139 de l’ère vulgaire, et on n’a aucune preuve que ce Télesphore ait été mis à mort. Zéphirin gouverna le troupeau de Rome pendant dix-huit années, et mourut paisiblement l’an 219.

  1. S’ils s’étaient contentés d’écrire et de prêcher, il est vraisemblable qu’on les eût laissés tranquilles ; mais le refus de prêter les serments les rendit suspects dans une constitution où l’on faisait un grand usage des serments. Le refus de prendre une part publique aux fêtes en l’honneur des empereurs était une espèce de crime dans un temps où l’empire était sans cesse agité par des révolutions. Les insultes qu’ils commettaient contre le culte reçu étaient punies avec sévérité, et avec barbarie, dans des siècles où les mœurs étaient féroces, où l’humanité n’était point respectée, où l’administration des lois était irrégulière et violente. (K.)
  2. Chapitre xxxix. (Note de Voltaire.)
  3. Chapitre xxxv. (Id.)
  4. Chapitre iii. (Id.)
  5. De Paucitate martyrum, ouvrage réfuté par dom Ruinart. (G. A.)