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DU GOUVERNEMENT

mis au rang des dieux après sa mort, Auguste fut dieu de son vivant. Il est vrai qu’il n’était pas tout à fait dieu à Rome, mais il l’était dans les provinces. Il y avait des temples et des prêtres. L’abbaye d’Ainay, à Lyon, était un beau temple d’Auguste. Horace lui dit[1] :

Jurandasque tuum per nomen ponimus aras.

Cela veut dire qu’il y avait, chez les Romains même, d’assez bons courtisans pour avoir dans leurs maisons de petits autels qu’ils dédiaient à Auguste. Il fut donc en effet canonisé de son vivant, et le nom de dieu devint le titre, ou le sobriquet, de tous les empereurs suivants. Caligula se fit dieu sans difficulté ; il se fit adorer dans le temple de Castor et de Pollux. Sa statue était posée entre ces deux gémeaux ; on lui immolait des paons, des faisans, des poules de Numidie, jusqu’à ce qu’enfin on l’immola lui-même. Néron eut le nom de dieu avant qu’il fût condamné par le sénat à mourir par le supplice des esclaves.

Ne nous imaginons pas que ce nom de dieu signifiait, chez ces monstres, ce qu’il signifie parmi nous ; le blasphème ne pouvait être porté jusque-là. Divus voulait dire précisément sanctus. De la liste des proscriptions, et de l’épigramme ordurière contre Fulvie[2], il y a loin jusqu’à la divinité. Il y eut onze conspirations contre ce dieu, si l’on compte la prétendue conjuration de Cinna ; mais aucune ne réussit, et de tous ces misérables qui usurpèrent les honneurs divins, Auguste fut sans doute le plus fortuné. Il fut véritablement celui par lequel la république romaine périt : car César n’avait été dictateur que dix mois, et Auguste régna plus de quarante années. Ce fut dans cet espace de temps que les mœurs changèrent avec le gouvernement. Les armées, composées autrefois de légions romaines et des peuples d’Italie, furent, dans la suite, formées de tous les peuples barbares. Elles mirent sur le trône des empereurs de leurs pays.

Dès le IIIe siècle, il s’éleva trente tyrans presque à la fois, dont les uns étaient de la Transylvanie, les autres des Gaules, d’Angleterre, ou d’Allemagne. Dioclétien était le fils d’un esclave de Dalmatie. Maximien Hercule était un villageois de Sirmik. Théodose était d’Espagne, qui n’était pas alors un pays fort policé.

  1. Livre II, épître Ire, vers 16.
  2. Voyez cette épigramme, tome XVII, page 484 ; voyez aussi, tome V du Théâtre, la troisième note de Voltaire sur la Ire scène du Triumvirat.