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CHAPITRE IX.

Qui devait plus soulever contre lui les prêtres et le gouvernement que saint Grégoire Thaumaturge, disciple d’Origène ? Grégoire avait vu pendant la nuit un vieillard envoyé de Dieu, accompagné d’une femme resplendissante de lumière : cette


    pendre leur soudan, et qui laisse cette province annexée à l’empire des Turcs, jusqu’à ce que d’autres barbares s’en emparent un jour.

    Hérodote rapporte que, dans les temps fabuleux, un roi égyptien nommé Sésostris sortit de son pays dans le dessein formel de conquérir l’univers : il est visible qu’un tel dessein n’est digne que de Picrochole ou de don Quichotte ; et sans compter que le nom de Sésostris n’est point égyptien, on peut mettre cet événement, ainsi que tous les faits antérieurs, au rang des Mille et une Nuits. Rien n’est plus commun chez les peuples conquis que de débiter des fables sur leur ancienne grandeur, comme, dans certains pays, certaines misérables familles se font descendre d’antiques souverains. Les prêtres d’Égypte contèrent à Hérodote que ce roi qu’il appelle Sésostris était allé subjuguer la Colchide : c’est comme si l’on disait qu’un roi de France partit de la Touraine pour aller subjuguer la Norvége.

    On a beau répéter tous ces contes dans mille et mille volumes, ils n’en sont pas plus vraisemblables ; il est bien plus naturel que les habitants robustes et féroces du Caucase, les Colchidiens, et les autres Scythes, qui vinrent tant de fois ravager l’Asie, aient pénétré jusqu’en Égypte ; et si les prêtres de Colchos rapportèrent ensuite chez eux la mode de la circoncision, ce n’est pas une preuve qu’ils aient été subjugués par les Égyptiens. Diodore de Sicile rapporte que tous les rois vaincus par Sésostris venaient tous les ans du fond de leurs royaumes lui apporter leurs tributs, et que Sésostris se servait d’eux comme de chevaux de carrosse, qu’il les faisait atteler à son char pour aller au temple. Ces histoires de Gargantua sont tous les jours fidèlement copiées. Assurément ces rois étaient bien bons de venir de si loin servir ainsi de chevaux.

    Quant aux pyramides et aux autres antiquités, elles ne prouvent autre chose que l’orgueil et le mauvais goût des princes d’Égypte, ainsi que l’esclavage d’un peuple imbécile, employant ses bras, qui étaient son seul bien, à satisfaire la grossière ostentation de ses maîtres. Le gouvernement de ce peuple, dans les temps mêmes que l’on vante si fort, paraît absurde et tyrannique ; on prétend que toutes les terres appartenaient à leurs monarques. C’était bien à de pareils esclaves à conquérir le monde !

    Cette profonde science des prêtres égyptiens est encore un des plus énormes ridicules de l’histoire ancienne, c’est-à-dire de la fable. Des gens qui prétendaient que dans le cours d’onze mille années le soleil s’était levé deux fois au couchant, et couché deux fois au levant, en recommençant son cours, étaient sans doute bien au-dessous de l’auteur de l’Almanach de Liége. La religion de ces prêtres, qui gouvernaient l’État, n’était pas comparable à celle des peuples les plus sauvages de l’Amérique : on sait qu’ils adoraient des crocodiles, des singes, des chats, des oignons ; et il n’y a peut-être aujourd’hui dans toute la terre que le culte du grand lama qui soit aussi absurde.

    Leurs arts ne valent guère mieux que leur religion ; il n’y a pas une seule ancienne statue égyptienne qui soit supportable, et tout ce qu’ils ont eu de bon a été fait dans Alexandrie, sous les Ptolémées et sous les Césars, par des artistes de Grèce : ils ont eu besoin d’un Grec pour apprendre la géométrie.

    L’illustre Bossuet s’extasie sur le mérite égyptien, dans son Discours sur l’Histoire universelle adressé au fils de Louis XIV. Il peut éblouir un jeune prince ; mais il contente bien peu les savants : c’est une très-éloquente déclama-