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DU DANGER DES FAUSSES LÉGENDES.

législateurs, qui punissaient si sévèrement les faiblesses des vestales. Les Actes sincères de Ruinart rapportent ces turpitudes ; mais doit-on croire aux Actes de Ruinart comme aux Actes des apôtres ? Ces Actes sincères disent, après Rollandus, qu’il y avait dans la ville d’Ancyre sept vierges chrétiennes, d’environ soixante et dix ans chacune, que le gouverneur Théodecte les condamna à passer par les mains des jeunes gens de la ville ; mais que ces vierges ayant été épargnées, comme de raison, il les obligea de servir toutes nues aux mystères de Diane, auxquels pourtant on n’assista jamais qu’avec un voile[1]. Saint Théodote, qui, à la vérité, était cabaretier, mais qui n’en était pas moins zélé, pria Dieu ardemment de vouloir bien faire mourir ces saintes filles, de peur qu’elles ne succombassent à la tentation. Dieu l’exauça ; le gouverneur les fit jeter dans un lac avec une pierre au cou : elles apparurent aussitôt à Théodote, et le prièrent de ne pas souffrir que leurs corps fussent mangés des poissons ; ce furent leurs propres paroles.

Le saint cabaretier et ses compagnons allèrent pendant la nuit au bord du lac gardé par des soldats ; un flambeau céleste marcha toujours devant eux, et quand ils furent au lieu où étaient les gardes, un cavalier céleste, armé de toutes pièces, poursuivit ces gardes la lance à la main. Saint Théodote retira du lac les corps des vierges : il fut mené devant le gouverneur, et le cavalier céleste n’empêcha pas qu’on ne lui tranchât la tête. Ne cessons de répéter que nous vénérons les vrais martyrs, mais qu’il est difficile de croire cette histoire de Rollandus et de Ruinart.

Faut-il rapporter ici le conte du jeune saint Romain ? On le jeta dans le feu, dit Eusèbe, et des Juifs qui étaient présents insultèrent à Jésus-Christ qui laissait brûler ses confesseurs, après que Dieu avait tiré Sidrach, Misach, et Abdenago, de la fournaise ardente[2]. À peine les Juifs eurent-ils parlé que saint Romain sortit triomphant du bûcher : l’empereur ordonna qu’on lui pardonnât, et dit au juge qu’il ne voulait rien avoir à démêler avec Dieu ; étranges paroles pour Dioclétien ! Le juge, malgré l’indulgence de l’empereur, commanda qu’on coupât la langue à saint Romain, et, quoiqu’il eût des bourreaux, il fit faire cette opération par un médecin. Le jeune Romain, né bègue, parla


  1. Voyez le chapitre xxvi de l’Examen important, le chapitre iii du Pyrrhonisme de l’histoire, et le 6e article des Fragments sur l’histoire.
  2. Daniel, chapitre iii.