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CHAPITRE X.

avec volubilité dès qu’il eut la langue coupée. Le médecin essuya une réprimande, et, pour montrer que l’opération était faite selon les règles de l’art, il prit un passant et lui coupa juste autant de langue qu’il en avait coupé à saint Romain, de quoi le passant mourut sur-le-champ : car, ajoute savamment l’auteur, l’anatomie nous apprend qu’un homme sans langue ne saurait vivre. En vérité, si Eusèbe a écrit de pareilles fadaises, si on ne les a point ajoutées à ses écrits, quel fond peut-on faire sur son Histoire ?

On nous donne le martyre de sainte Félicité et de ses sept enfants, envoyés, dit-on, à la mort par le sage et pieux Antonin, sans nommer l’auteur de la relation.

Il est bien vraisemblable que quelque auteur plus zélé que vrai a voulu imiter l’histoire des Machabées. C’est ainsi que commence la relation : « Sainte Félicité était Romaine, elle vivait sous le règne d’Antonin » ; il est clair, par ces paroles, que l’auteur n’était pas contemporain de sainte Félicité. Il dit que le préteur les jugea sur son tribunal dans le champ de Mars ; mais le préfet de Rome tenait son tribunal au Capitole, et non au champ de Mars, qui, après avoir servi à tenir les comices, servait alors aux revues des soldats, aux courses, aux jeux militaires : cela seul démontre la supposition.

Il est dit encore qu’après le jugement, l’empereur commit à différents juges le soin de faire exécuter l’arrêt : ce qui est entièrement contraire à toutes les formalités de ces temps-là et à celles de tous les temps.

Il y a de même un saint Hippolyte, que l’on suppose traîné par des chevaux, comme Hippolyte, fils de Thésée. Ce supplice ne fut jamais connu des anciens Romains, et la seule ressemblance du nom a fait inventer cette fable.

Observez encore que dans les relations des martyres, composées uniquement par les chrétiens mêmes, on voit presque toujours une foule de chrétiens venir librement dans la prison du condamné, le suivre au supplice, recueillir son sang, ensevelir son corps, faire des miracles avec les reliques. Si c’était la religion seule qu’on eût persécutée, n’aurait-on pas immolé ces chrétiens déclarés qui assistaient leurs frères condamnés, et qu’on accusait d’opérer des enchantements avec les restes des corps martyrisés ? Ne les aurait-on pas traités comme nous avons traité les vaudois, les albigeois, les hussites, les différentes sectes des protestants ? Nous les avons égorgés, brûlés en foule, sans distinction ni d’âge ni de sexe. Y a-t-il, dans les relations avérées