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ABUS DE L’INTOLÉRANCE.

Non assurément, monsieur le cardinal. On veut bien adopter votre supposition chimérique qu’un de nos rois, ayant lu l’histoire des conciles et des pères, frappé d’ailleurs de ces paroles : Mon père est plus grand que moi[1], les prenant trop à la lettre et balançant entre le concile de Nicée et celui de Constantinople, se déclarât pour Eusèbe de Nicomédie : je n’en obéirai pas moins à mon roi, je ne me croirai pas moins lié par le serment que je lui ai fait ; et si vous osiez vous soulever contre lui, et que je fusse un de vos juges, je vous déclarerais criminel de lèse-majesté.

Duperron poussa plus loin la dispute, et je l’abrège. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir ces chimères révoltantes ; je me bornerai à dire, avec tous les citoyens, que ce n’est point parce que Henri IV fut sacré à Chartres qu’on lui devait obéissance, mais parce que le droit incontestable de la naissance donnait la couronne à ce prince, qui la méritait par son courage et par sa bonté.

Qu’il soit donc permis de dire que tout citoyen doit hériter, par le même droit, des biens de son père, et qu’on ne voit pas qu’il mérite d’en être privé, et d’être traîné au gibet, parce qu’il sera du sentiment de Ratram[2] contre Paschase Ratbert, et de Bérenger[3] contre Scot.

On sait que tous nos dogmes n’ont pas toujours été clairement expliqués et universellement reçus dans notre Église. Jésus-Christ ne nous ayant point dit comment procédait le Saint-Esprit, l’Église latine crut longtemps avec la grecque qu’il ne procédait que du Père : enfin elle ajouta au symbole qu’il procédait aussi du Fils. Je demande si, le lendemain de cette décision, un citoyen qui s’en serait tenu au symbole de la veille eût été digne de mort ? La cruauté, l’injustice, seraient-elles moins grandes de punir aujourd’hui celui qui penserait comme on pensait autrefois ? Était-on coupable, du temps d’Honorius Ier, de croire que Jésus n’avait pas deux volontés ?

Il n’y a pas longtemps que l’immaculée conception est établie : les dominicains n’y croient pas encore. Dans quel temps les dominicains commenceront-ils à mériter des peines dans ce monde et dans l’autre ?

Si nous devons apprendre de quelqu’un à nous conduire

  1. Jean, xiv, 28.
  2. Voyez tome XI, page 381.
  3. Ibid., page 382.