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CHAPITRE XI.

dans nos disputes interminables, c’est certainement des apôtres et des évangélistes. Il y avait de quoi exciter un schisme violent entre saint Paul et saint Pierre. Paul dit expressément dans son Épître aux Galates[1] qu’il résista en face à Pierre parce que Pierre était répréhensible, parce qu’il usait de dissimulation aussi bien que Barnabé, parce qu’ils mangeaient avec les Gentils avant l’arrivée de Jacques, et qu’ensuite ils se retirèrent secrètement, et se séparèrent des Gentils de peur d’offenser les circoncis. « Je vis, ajoute-t-il, qu’ils ne marchaient pas droit selon l’Évangile ; je dis à Céphas : Si vous, Juif, vivez comme les Gentils, et non comme les Juifs, pourquoi obligez-vous les Gentils à judaïser ? »

C’était là un sujet de querelle violente. Il s’agissait de savoir si les nouveaux chrétiens judaïseraient ou non. Saint Paul alla dans ce temps-là même sacrifier dans le temple de Jérusalem. On sait que les quinze premiers évêques de Jérusalem furent des Juifs circoncis, qui observèrent le sabbat, et qui s’abstinrent des viandes défendues. Un évêque espagnol ou portugais qui se ferait circoncire, et qui observerait le sabbat, serait brûlé dans un auto-da-fé. Cependant la paix ne fut altérée, pour cet objet fondamental, ni parmi les apôtres, ni parmi les premiers chrétiens.

Si les évangélistes avaient ressemblé aux écrivains modernes, ils avaient un champ bien vaste pour combattre les uns contre les autres. Saint Matthieu[2] compte vingt-huit générations depuis David jusqu’à Jésus ; saint Luc[3] en compte quarante et une, et ces générations sont absolument différentes[4]. On ne voit pourtant nulle dissension s’élever entre les disciples sur ces contrariétés apparentes, très-bien conciliées par plusieurs Pères de l’Église. La charité ne fut point blessée, la paix fut conservée. Quelle plus grande leçon de nous tolérer dans nos disputes, et de nous humilier dans tout ce que nous n’entendons pas !

Saint Paul, dans son Épître à quelques juifs de Rome convertis au christianisme, emploie toute la fin du troisième chapitre à dire que la seule foi glorifie, et que les œuvres ne justifient personne. Saint Jacques, au contraire, dans son Épître aux douze tribus dispersées par toute la terre, chapitre ii, ne cesse de dire qu’on ne peut être sauvé sans les œuvres. Voilà ce qui a séparé deux grandes communions parmi nous[5] et ce qui ne divisa point les apôtres.

  1. II, 14.
  2. I, 17.
  3. III, 23-31.
  4. Voyez l’article Généalogie, tome XIX, page 217.
  5. Catholiques et protestants.