Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/173

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tome VI, page 53. Il n’y a pas un mot de cela dans les Mémoires de Montpensier. Mademoiselle écrivit seulement sur un papier : C’est vous, et rien de plus. Il faut en croire cette princesse plutôt que La Beaumelle. La présence des dieux domestiques est fort convenable et du vrai style de l’histoire.

Ce qui révolte presque à chaque page, ce sont les conversations que l’auteur suppose entre le roi, Mme de Montespan, et la veuve de Scarron, comme s’il y avait été présent. « Louis, dit-il, n’eût point aimé la vérité dans une bouche ridicule en pie-grièche, que Mme de Maintenon savait envelopper dans des paroles de soie.

« Mme  de Maintenon savait, dit-il, que les amours et les craintes de Mme de Montespan avaient sauvé la Hollande. » Où a-t-il lu que Mme de Montespan sauva la Hollande, qui allait être entièrement envahie si les Hollandais n’avaient pas eu le temps de rompre leurs digues et d’inonder le pays ?

Comment ose-t-il dire que lorsque Mme de Maintenon mena le duc du Maine à Barèges, elle dit au maréchal d’Albert, en voyant le Château-Trompette : « Voilà où j’ai été élevée ; mais je connais une plus rude prison, et mon lit n’est pas meilleur que mon berceau » ? Tout le monde sait qu’elle était née à Niort, et non pas à Bordeaux, et qu’elle n’avait jamais été élevée au Château-Trompette. Comment peut-on accumuler tant de sottises et de mensonges ?

Il fait dire par Mme de Maintenon à Mme de Montespan : « J’ai rêvé que nous étions l’une et l’autre sur le grand escalier de Versailles ; je montais, vous descendiez ; je m’élevais jusqu’aux nues, et vous allâtes à Fontevrault. » Il est difficile de s’élever jusqu’aux nues par un escalier. Ce conte est imité d’une ancienne anecdote du duc d’Épernon, qui, montant[1] l’escalier de Saint-Germain, rencontra le cardinal de Richelieu, dont le pouvoir commençait à s’affermir. Le cardinal lui demanda s’il ne savait point quelques nouvelles. Oui, lui dit-il ; vous montez, et je descends. Notre romancier cite les Lettres de madame de Sévigné ; et il n’y a pas un mot, dans ces lettres, de la prétendue réponse de Mme de Maintenon.

Il faut être bien hardi, et croire ses lecteurs bien imbéciles, pour oser dire qu’en 1681 le duc de Lorraine envoya à Mademoiselle un agent secret déguisé en pauvre, qui, en lui demandant l’aumône dans l’église, lui donna une lettre de ce prince

  1. Il faudrait descendant ; mais les éditions de 1767, et toutes celles que j’ai vues, portent montant. ( B.)