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L'ÉPÎTRE


NEUVIÈME IMPOSTURE.

Je passe sous silence un millier de petites impostures journalières, pour arriver vite à la grande imposture des décrétales.

Ces fausses décrétales furent universellement répandues dans le siècle de Charlemagne. C’est là, Romains, que, pour mieux vous ravir votre liberté, on en dépouille tous les évêques ; on veut qu’ils n’aient pour juge que l’évêque de Rome. Certes s’il est le souverain des évêques, il devait bientôt devenir le vôtre, et c’est ce qui est arrivé. Ces fausses décrétales abolissaient les conciles, elles abolirent bientôt votre sénat, qui n’est plus qu’une cour de judicature, esclave des volontés d’un prêtre. Voilà surtout la véritable origine de l’avilissement dans lequel vous rampez. Tous vos droits, tous vos priviléges, si longtemps conservés par votre sagesse, n’ont pu vous être ravis que par le mensonge. Ce n’est qu’en mentant à Dieu et aux hommes qu’on a pu vous rendre esclaves ; mais jamais on n’a pu éteindre dans vos cœurs l’amour de la liberté. Il est d’autant plus fort que la tyrannie est plus grande. Ce mot sacré de liberté se fait encore entendre dans vos conversations, dans vos assemblées, et jusque dans les antichambres du pape.

ARTICLE IX.

César ne fut que votre dictateur ; Auguste ne fut que votre général, votre consul, votre tribun. Tibère, Caligula, Néron, vous laissèrent vos comices, vos prérogatives, vos dignités ; les barbares même les respectèrent. Vous eûtes toujours votre gouvernement municipal. C’est par votre délibération, et non par l’autorité de votre évêque Grégoire III, que vous offrîtes la dignité de patrice au grand Charles Martel, maître de son roi, et vainqueur des Sarrasins en l’année 741 de notre fautive ère vulgaire.

Ne croyez pas que ce fut l’évêque Léon III qui fit Charlemagne empereur : c’est un conte ridicule du secrétaire Éginhard, vil flatteur des papes qui l’avaient gagné. De quel droit et comment un évêque sujet aurait-il fait un empereur, qui n’était jamais créé que par le peuple ou par les armées qui se mettaient à la place du peuple ?

Ce fut vous, peuple romain, qui usâtes de vos droits ; vous, qui ne voulûtes plus dépendre d’un empereur grec, dont vous n’étiez pas secourus ; vous, qui nommâtes Charlemagne : sans quoi il