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AUX ROMAINS.

n’eût été qu’un usurpateur. Les annalistes de ce temps conviennent que tout était arrangé entre Carolo et vos principaux officiers (ce qui est en effet de la plus grande vraisemblance). Votre évêque n’y eut d’autre part que celle d’une vaine cérémonie, et la réalité de recevoir de grands présents. Il n’avait d’autre autorité légale dans votre ville que celle du crédit attaché à sa mitre, à son clergé, et à son savoir-faire.

En vous donnant à Charlemagne, vous restâtes maîtres de l’élection de vos officiers ; la police fut entre leurs mains ; vous demeurâtes en possession du môle d’Adrien, si ridiculement appelé depuis le château Saint-Ange, et vous n’avez été pleinement asservis que quand vos évêques se sont emparés de cette forteresse.

Ils sont parvenus pas à pas à cette grandeur suprême, si expressément proscrite pour eux par celui qu’ils regardent comme leur Dieu, et dont ils osent s’appeler les vicaires. Jamais sous les Othons ils n’eurent de juridiction dans Rome. Les excommunications et les intrigues furent leurs seules armes ; et lorsque, dans les temps d’anarchie, ils ont été en effet souverains, ils n’ont jamais osé en prendre le titre. Je défie tous les gens habiles qui vendent chez vous des médailles aux étrangers d’en montrer une seule où votre évêque soit intitulé votre souverain. Je défie même les plus habiles fabricateurs de titres dont votre cour abonde d’en montrer un seul où le pape soit traité de prince par la grâce de Dieu. Quelle étrange principauté que celle qu’on craint d’avouer !

Quoi ! les villes impériales d’Allemagne qui ont des évêques sont libres ; et vous, Romains, vous ne l’êtes pas ! Quoi ! l’archevêque de Cologne n’a pas seulement le droit de coucher dans cette ville, et votre pape vous permet à peine de coucher chez vous ! Il s’en faut beaucoup que le sultan des Turcs soit aussi despotique à Constantinople que le pape l’est devenu à Rome.

Vous périssez de misère sous de beaux portiques. Vos belles peintures dénuées de coloris, et dix ou douze chefs-d’œuvre de la sculpture antique, ne vous procureront jamais ni un bon dîner ni un bon lit. L’opulence est pour vos maîtres, et l’indigence est pour vous : le sort d’un esclave des anciens Romains était cent fois au-dessus du vôtre, car il pouvait acquérir de grandes fortunes ; mais vous, nés serfs, vous mourez serfs, et vous n’avez d’huile que celle de l’extrême-onction. Esclaves de corps, esclaves d’esprit, vos tyrans ne souffrent pas même que vous lisiez dans votre langue le livre sur lequel on dit que votre religion est fondée.