Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/212

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se couvrit de marais croupissants. Ce pays avait été, sous la maison d’Este, un des plus beaux de d’Italie ; le peuple regretta toujours ses anciens maîtres. Il est vrai que le duc fut dédommagé. On lui donna la nomination à un évêché et à une cure, et on lui fournit même quelques minots de sel des magasins de Cervia ; mais il n’est pas moins vrai que la maison de Modène a des droits incontestables et imprescriptibles sur ce duché de Ferrare, dont elle est si indignement dépouillée.

v. — de castro et ronciglione.

L’usurpation de Castro et Ronciglione sur la maison de Parme n’est pas moins injuste : mais la manière a été plus basse et plus lâche[1]. Il y a dans Rome beaucoup de juifs, qui se vengent comme ils peuvent des chrétiens en leur prêtant sur gages à gros intérêts. Les papes ont été sur leur marché. Ils ont établi des banques que l’on appelle monts-de-piété : on y prête sur gages aussi, mais avec un intérêt beaucoup moins fort. Les particuliers y déposent leur argent, et cet argent est prêté à ceux qui veulent emprunter, et qui peuvent répondre.

Rainuce, duc de Parme, fils de ce célèbre Alexandre Farnèse qui fit lever au roi Henri IV le siége de Rouen et le siège de Paris, obligé d’emprunter de grosses sommes, donna la préférence au mont-de-piété sur les juifs. Il n’avait cependant pas trop à se louer de la cour romaine. La première fois qu’il y parut, Sixte-Quint voulut lui faire couper le cou pour récompense des services que son père avait rendus à l’Église.

Son fils Odoard devait les intérêts avec le capital, et ne pouvait s’acquitter que difficilement. Barbarin ou Barberin, qui était alors pape sous le nom d’Urbain VIII, voulut accommoder l’affaire en mariant sa nièce Barbarini ou Barbarina au jeune duc de Parme. Il avait deux neveux qui le gouvernaient : l’un, Taddeo Barbarini, préfet de Rome ; et l’autre, le cardinal Antonio ; et de plus un frère, cardinal aussi, mais qui ne gouvernait personne. Le duc alla à Rome voir ce préfet et ces cardinaux, dont il devait être le beau-frère moyennant une diminution des intérêts qu’il devait au mont-de-piété. Ni le marché, ni la nièce du pape, ni les procédés des neveux ne lui plurent : il se brouilla

  1. Voltaire écrivait au président Hénault qu’il se trouvait là des particularités aussi vraies qu’intéressantes. C’était sans doute par son ami d’Argental, représentant du duc de Parme en France, que Voltaire avait été renseigné. (G. A.)