Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/216

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ses billets, et il risquait d’être déposé. Pour payer les uns il fallait prendre aux autres. Il commence par lever des troupes ; il se met à leur tête, assiége Pérouse, qui appartenait au seigneur Baglioni, homme faible et timide qui n’eut pas le courage de se défendre. Il rendit sa ville en 1506. On lui laissa seulement emporter ses meubles avec des agnus Dei. De Pérouse Jules marche à Bologne, et en chasse les Bentivoglio.

On sait comment il arma tous les souverains contre Venise, et comment ensuite il s’unit avec les Vénitiens contre Louis XII. Cruel ennemi, ami perfide, prêtre, soldat, il réunissait tout ce qu’on reproche à ces deux professions : la fourberie et l’inhumanité. Cet honnête homme se mêlait aussi d’excommunier. Il lança son ridicule foudre contre le roi de France Louis XII, le père du peuple. Il croyait, dit un auteur célèbre, mettre les rois sous l’anathème, comme vicaire de Dieu ; et il mettait à prix les têtes de tous les Français en Italie, comme vicaire du diable. Voilà l’homme dont les princes baisaient les pieds, et que les peuples adoraient comme un Dieu. J’ignore s’il eut la vérole, comme on l’a écrit : tout ce que je sais, c’est que la signora Orsini, sa fille, ne l’eut point, et qu’elle fut une très-honorable dame. Il faut toujours rendre justice au beau sexe dans l’occasion.

vii. — des acquisitions d’alexandre vi.

La terre a retenti assez de la simonie qui valut à ce Borgia la tiare, des excès de fureur et de débauche dont se souillèrent ses bâtards, de son inceste avec Lucrezia sa fille. Quelle Lucrezia ! On sait qu’elle couchait avec son frère et son père, et qu’elle avait des évêques pour valets de chambre. On est assez instruit du beau festin pendant lequel cinquante courtisanes nues ramassaient des châtaignes en variant leurs postures, pour amuser Sa Sainteté, qui distribua des prix aux plus vigoureux vainqueurs de ces dames[1]. L’Italie parle encore du poison qu’on prétendit qu’il prépara pour quelques cardinaux, et dont on croit qu’il mourut lui-même[2]. Il ne reste rien de ces épouvantables horreurs que la mémoire ; mais il reste encore des héritiers de ceux que son fils et lui assassinèrent, ou étranglèrent, ou empoisonnèrent pour ravir leurs héritages. On connaît le poison dont ils se servaient : il s’appelait la cantarella[3]. Tous les crimes de cette abomi-

  1. Ailleurs, Voltaire met en doute cette anecdote. (G. A.)
  2. Voyez le chapitre xl du Pyrrhonisme de l’histoire.
  3. Voyez tome XVIII, page 531.