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DES DONATIONS DE PEPIN À L'ÉGLISE DE ROME.


n’avait prétendu à aucune souveraineté. Cette prétention aurait révolté tous les esprits, car toute nouveauté les révolte ; et une telle ambition dans un pasteur de l’Église est si authentiquement proscrite dans l’Évangile qu’on ne pouvait introduire qu’avec le temps et par degrés ce mélange de la grandeur temporelle et de la spirituelle, ignoré dans toute la chrétienté pendant huit siècles.

Les Lombards s’étaient rendus maîtres de tout le pays, depuis Ravenne jusqu’aux portes de Rome. Leur roi Astolphe prétendait qu’après s’être emparé de l’exarchat de Ravenne, Rome lui appartenait de droit, parce que Rome, depuis longtemps, était gouvernée par l’exarque impérial : prétention aussi injuste que celle du pape aurait pu l’être.

Rome était régie alors par un duc et par le sénat, au nom de l’empereur Constantin, flétri dans la communion romaine par le surnom de Copronyme[1]. L’évêque avait un très-grand crédit dans la ville par sa place et par ses richesses, crédit que l’habileté peut augmenter jusqu’à le convertir en autorité. Il est député de ses diocésains auprès du nouveau roi Pepin, pour demander sa protection contre les Lombards. Les Francs avaient déjà fait plus d’une irruption en Italie. Ce pays, qui avait été l’objet des courses des Gaulois, avait souvent tenté les Francs, leurs vainqueurs, incorporés à eux. Ce prélat fut très-bien reçu. Pepin croyait avoir besoin de lui pour affermir son autorité combattue par le duc d’Aquitaine, par son propre frère, par les Bavarois, et par les leudes. Francs encore attachés à la maison détrônée. Il se fit donc sacrer une seconde fois par ce pape, ne doutant pas que l’onction reçue du premier évêque d’Occident n’eût une influence sur les peuples bien supérieure à celle d’un nouvel évêque d’un pays barbare. Mais, s’il avait donné alors l’exarchat de Ravenne à Étienne III, il aurait donné un pays qui ne lui appartenait point, qui n’était pas en son pouvoir, et sur lequel il n’avait aucun droit[2].

Il se rendit médiateur entre l’empereur et le roi lombard : donc il est évident qu’il n’avait alors aucune prétention sur la province de Ravenne. Astolphe refuse la médiation, et vient braver le prince franc dans le Milanais ; bientôt obligé de se retirer dans Pavie, il y passe, dit-on, une transaction par laquelle « il mettra en séquestre l’exarchat entre les mains de Pepin pour le rendre à l’empereur ». Donc, encore une fois. Pepin ne pouvait

  1. C’est-à-dire l’Ordurier, parce que lors de son baptême il salit de ses excréments les fonts baptismaux.
  2. L’exarchat fut donné au pape pour qu’il ne devînt pas la proie des Lombards.