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RÉFLEXION.


de ce temps-là. Mais je ne sais pourquoi l’historien s’exprime en ces mots : « Si ces deux misérables n’étaient pas complices de la mort du roi, ils méritaient du moins les plus rigoureux châtiments. Il est certain que, du vivant même du roi, Concini et sa femme avaient avec l’Espagne des liaisons contraires aux desseins du roi. »

C’est ce qui n’est point du tout certain, cela n’est pas même vraisemblable. Ils étaient Florentins ; le grand-duc de Florence avait reconnu le premier Henri IV ; il ne craignait rien tant que le pouvoir de l’Espagne en Italie ; Concini et sa femme n’avaient point de crédit du temps de Henri IV. S’ils avaient ourdi quelque trame avec le conseil de Madrid, ce ne pouvait être que pour la reine. C’est donc accuser la reine d’avoir trahi son mari ; et, encore une fois, il n’est pas permis d’inventer de telles accusations sans preuve. Quoi ! un écrivain dans son grenier pourra prononcer une diffamation que les juges les plus éclairés du royaume trembleraient d’écouter sur leur tribunal !

Pourquoi appeler un maréchal de France et sa femme, dame d’atour de la reine, ces deux misérables ? Le maréchal d’Ancre, qui avait levé une armée à ses frais contre les rebelles, mérite-t-il une épithète qui n’est convenable qu’à Ravaillac, à Cartouche, aux voleurs publics, aux calomniateurs publics ?


CHAPITRE XXXVI.
réflexion.

Il n’est que trop vrai qu’il suffit d’un fanatique pour commettre un parricide sans aucun complot. Damiens n’en avait point. Il a répété quatre fois dans son interrogatoire qu’il n’a commis son crime que par principe de religion. Je puis dire qu’ayant été autrefois à portée de connaître les convulsionnaires, j’en ai vu plus de vingt capables d’une pareille horreur[1], tant leur démence était atroce ! La religion mal entendue est une fièvre que la moindre occasion fait tourner en rage.

Le propre du fanatisme est d’échauffer les têtes. Quand le feu qui fait bouillir les cervelles superstitieuses a fait tomber quelques flammèches dans une âme insensée et atroce, quand un ignorant

  1. Un entre autres dont il a été question dans le procès de Damiens. (Note de Voltaire.)