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CHAPITRE XXXVII.


furieux croit imiter saintement Phinée, Aod, Judith, et leurs semblables, cet ignorant a plus de complices qu’il ne pense. Bien des gens l’ont excité au parricide sans le savoir. Quelques personnes profèrent des paroles indiscrètes et violentes ; un domestique les répète, il les amplifie, il les enfuneste[1] encore, comme disent les Italiens ; un Châtel, un Ravaillac, un Damiens, les recueillent : ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu’ils ont fait ; ils sont complices involontaires, mais il n’y a eu ni complot ni instigation. En un mot, on connaît bien mal l’esprit humain, si l’on ignore que le fanatisme rend la populace capable de tout.


CHAPITRE XXXVII.
du dauphin françois.

Le dauphin François, fils de François Ier, joue à la paume ; il boit beaucoup d’eau fraîche dans une transpiration abondante ; on accuse l’empereur Charles-Quint de l’avoir fait empoisonner ! Quoi ! le vainqueur aurait craint le fils du vaincu ! Quoi ! il aurait fait périr à la cour de France le fils de celui dont alors il prenait deux provinces, et il aurait déshonoré toute la gloire de sa vie par un crime infâme et inutile ! Il aurait empoisonné le dauphin en laissant deux frères pour le venger ! L’accusation est absurde ; aussi je me joins à l’auteur, toujours impartial, de l’Essai sur les Mœurs, etc., pour détester cette absurdité[2].

Mais le dauphin François avait auprès de lui un gentilhomme italien, un comte Montecuculli, qui lui avait versé l’eau fraîche dont il résulta une pleurésie. Ce comte était né sujet de Charles-Quint ; il lui avait parlé autrefois, et sur cela seul on l’arrête, on le met à la torture ; des médecins ignorants affirment que les tranchées causées par l’eau froide sont causées par l’arsenic. On fait écarteler Montecuculli, et toute la France traite d’empoisonneur le vainqueur de Soliman, le libérateur de la chrétienté, le triomphateur de Tunis, le plus grand homme de l’Europe ! Quels juges condamnèrent Montecuculli ? Je n’en sais rien ; ni Mézerai ni Daniel ne le disent. Le président Hénault dit : « Le dauphin

  1. Ce mot est employé ici par Voltaire pour la première fois. Il reproduit ce morceau en 1770 ; voyez tome XVII, page 203. Le mot funestèrent est au tome XIII, page 87.
  2. Voyez tome XII, page 267.