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ENTRETIENS CHINOIS.

où je dois soulager quelques-uns de mes frères qui souffrent. J’ai fait des fautes comme un autre : je ne veux pas les expier autrement ; je vous conseille d’en faire de même.

DEUXIÈME CONFERENCE.

le jésuite.

Je vous supplie avec humilité de me procurer une place de mandarin, comme plusieurs de nos Pères en ont eu, et d’y faire joindre la permission de nous bâtir une maison et une église, et de prêcher en chinois : vous savez que je parle la langue.

le mandarin.

Mon crédit ne va pas jusque-là. Les juifs, les mahométans, qui sont dans notre empire, et qui connaissent un seul Dieu comme nous, ont demandé la même permission, et nous n’avons pu la leur accorder : il faut suivre les lois.

le jésuite.

Point du tout ; il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes[1].

le mandarin.

Oui, si les hommes vous commandent des choses évidemment criminelles, par exemple d’égorger votre père et votre mère, d’empoisonner vos amis ; mais il me semble qu’il n’est pas injuste de refuser à un étranger la permission d’apporter le trouble dans nos États, et de balbutier dans notre langue, qu’il prononce toujours fort mal, des choses que ni lui ni nous ne pouvons entendre.

le jésuite.

J’avoue que je ne prononce pas tout à fait aussi bien que vous ; je fais gloire quelquefois de ne pas entendre un mot de ce que j’annonce ; pour le trouble et la discorde[2], c’est vraiment tout le contraire : c’est la paix que j’apporte.

le mandarin.

Vous souvenez-vous de la fameuse requête présentée à nos neuf tribunaux suprêmes, au premier mois de l’année que vous appelez 1717 ? En voici les propres mots qui vous regardent, et que vous avez conservés vous-mêmes[3] : « Ils vinrent d’Europe à Manille

  1. Actes, v, 29.
  2. Allusion aux versets 34 et 35 du chap. x, Évangile de Matthieu. (Cl.)
  3. Recueil des lettres intitulées Édifiantes, pages 98 et suiv. (Note de Voltaire.)