Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/367

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L'A, B, C. 359

à peu près comme Dieu avec l'homme. Si Dieu a fait l'iiomme

pour vivre quelques minutes dans l'écurie de la terre, il fallait

bien qu'il lui procurât de la nourriture : car il serait absurde qu'il

lui eût fait présent de la faim et d'un estomac, et qu'il eût oublié

de le nourrir.

C.

Et si votre esclave vous est inutile?

A.

Je lui donnerai sa liberté, sans contredit, dût-il s'aller faire

moine.

B.

Mais l'esclavage de l'esprit, comment le trouvez-vous ?

A.

Qu'appelez-vous esclavage de l'esprit ?

B.

J'entends cet usage où l'on est de plier l'esprit de nos enfants, comme les femmes caraïbes pétrissent la tête des leurs; d'a})- prendre d'abord à leur bouche à balbutier des sottises dont nous nous moquons nous-mêmes; de leur faire croire ces sottises dès qu'ils peuvent commencer à croire; de prendre ainsi tous les soins possibles pour rendre une nation idiote, pusillanime et barbare; d'instituer enfin des lois qui empêchent les hommes d'écrire, de parler, et même de penser, comme Arnolphe veut, dans la comédie, qu'il n'y ait dans sa maison d'écritoire que pour lui S et faire d'Agnès une imbécile, afin de jouir d'elle.

A.

S'il y avait de pareilles lois en Angleterre, ou je ferais une belle conspiration pour les abolir, ou je fuirais pour jamais do mon île après y avoir mis le feu.

ferai une pension s'il a vieilli à mon service? Je vois un esclave sur le marché, je lui dis: Mon ami, mes compatriotes sont des coquins qui violent le droit naturel sans pudeur et sans remords. On va te vendre 1,500 livres; je les ai; mais je ne puis faire ce sacrifice pour empêcher ces gens-là de commettre un crime de plus. Si tu veux, je t'achèterai, tu travailleras pour moi, et je te nourrirai; si tu tra- vailles mal, tu es un vaurien, je te chasserai, et tu retomberas enti-e les mains dont tu sors; si je suis un brutal ou un tyran, si je te donne des coups de nerf de bœuf, si je te prends ta femme ou ta fille, tu ne me dois plus rien, tu deviens libre ; fie-toi à ma parole, je ne fais point le mal de sang-froid. Veux-tu me suivre ■? Mais cachons ce traité: on ne souffre ici, entre ton espèce et la mienne, que les conventions qui sont des crimes; celles qui seraient justes sont défendues. Ce discours serait celui d'un homme raisonnable, mais celui qu'il aurait acheté ne serait pas son esclave. (K.)

1. École des femmes, acte III, scène ii, septième maxime.

�� �