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L'A, B, C. 369

versel que vous le dites. Nous avons déjà remarqué^ que les brames et les primitifs nommés quakers n'ont jamais été coupables de cette abomination. Les nations qui sont au delà du Gange versent très-rarement le sang; et je n'ai point lu que la république de San-Marino ait jamais fait la guerre, quoiqu'elle ait à peu près autant de terrain qu'en avait Romulus. Les peuples de l'Indus et de l'Hydaspc furent bien surpris de voir les premiers voleurs armés qui vinrent s'emparer de leur beau pays. Plusieurs peuples de l'Amérique n'avaient jamais entendu parler de ce péché horrible, quand les Espagnols vinrent les attaquer l'Évangile à la main.

Il n'est point dit que les Ghananéens eussent jamais fait la guerre à personne, lorsqu'une horde de Juifs parut tout d'un coup, mit les bourgades en cendres, égorgea les femmes sur les corps de leurs maris, et les enfants sur le ventre de leurs mères. Comment expliquerons-nous cette fureur dans nos principes?

A.

Comme les méchants rendent raison de la peste, des deux véroles, et de la rage. Ge sont des maladies attachées à la consti- tution de nos organes. On n'est pas toujours attaqué de la rage et de la peste; il suffit souvent qu'un ministre d'État enragé ait mordu un autre ministre pour que la rage se communique dans trois mois à quatre ou cinq cent mille hommes.

C. Mais, quand on a ces maladies, il y a quelques remèdes. En connaissez-vous pour la guerre?

A.

Je n'en connais que deux, dont la tragédie s'est emparée : la crainte et la pitié. La crainte nous oblige souvent à faire la paix; et la pitié, que la nature a mise dans nos cœurs comme un contre- poison contre l'héroïsme carnassier, fait qu'on ne traite pas tou- jours les vaincus à toute rigueur. Notre intérêt même est d'user envers eux de miséricorde, afin qu'ils servent sans trop de répu- gnance leurs nouveaux maîtres : je sais bien qu'il y a eu des bru- taux qui ont fait sentir rudement le poids de leurs chaînes aux nations subjuguées. A cela je n'ai autre chose à répondre que ce vers d'une tragédie intitulée Spartacus^, composée par un Fran- çais qui pense profondément :

La loi de l'univers, c'est : Malheur au vaincu.

1. Voyez le troisième entretien, page 331.

2. Pcar Saurin; le vers cité par Voltaire est à la scène iv de l'acte III. 27. — Mélanges. VI. 24

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