Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/380

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grâce pour qu’on la leur fasse, direz-vous que c’est là une loi théologique ? Vous avouerez qu’ils ont écouté la nature et l’intérêt, malgré la théologie. Il en est de même dans la guerre : le mal qu’elle ne fait pas, c’est le besoin et l’intérêt qui l’arrêtent. La guerre, vous dis-je, est une maladie affreuse qui saisit les nations l'une après l’autre, et que la nature guérit à la longue.

C.

Quoi ! vous n’admettez point de guerre juste ?

A.

Je n’en ai jamais connu de cette espèce ; cela me paraît contradictoire et impossible.

B.

Quoi ! lorsque le pape Alexandre VI et son infâme fils Borgia pillaient la Romagne, égorgeaient, empoisonnaient tous les seigneurs de ce pays, en leur accordant des indulgences, il n’était pas permis de s’armer contre ces monstres ?

A.

Ne voyez-vous pas que c’étaient ces monstres qui faisaient la guerre? Ceux qui se défendaient la soutenaient. Il n’y a certainement dans ce monde que des guerres offensives; la défensive n’est autre chose que la résistance à des voleurs armés.

C.

Vous vous moquez de nous. Deux princes se disputent un héritage, leur droit est litigieux, leurs raisons sont également plausibles; il faut bien que la guerre en décide : alors cette guerre est juste des deux côtés.

A.

C’est vous qui vous moquez. Il est impossible physiquement que l'un des deux n’ait pas tort, et il est absurde et barbare que des nations périssent parce que l’un de ces deux princes a mal raisonné. Qu’ils se battent en champ clos s’ils veulent; mais qu’un peuple entier soit immolé à leurs intérêts, voilà où est l’horreur. Par exemple, l’archiduc Charles dispute le trône d’Espagne au duc d’Anjou S et, avant que le procès soit jugé, il en coûte la vie à plus de quatre cent mille hommes ; je vous demande si la chose est juste.

1. Voyez tome XIV, pages 337 et suiv.