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L’A, B, C.

B.

Conservez ce précieux monument que Tintelligence et le courage ont élevé : il vous a trop coûté pour que tous le laissiez détruire. L’homme est né libre : le meilleur gouvernement est celui qui conserve le plus qu’il est possible à chaque mortel ce don de la nature.

Mais, croyez-moi, arrangez-vous avec vos colonies, et que la mère et les filles ne se battent pas^.



SEIZIÈME ENTRETIEN.
DES ABUS.


C.

On dit que le monde n’est gouverné que par des abus ; cela est-il vrai ?

B.

Je crois bien qu’il y a pour le moins moite abus et moitié usages tolérables chez les nations policées, moitié malheur et moitié fortune, de même que sur la mer on trouve un partage assez égal de tempêtes et de beau temps pendant l’année. C’est ce qui a fait imaginer les deux tonneaux de Jupiter et la secte des manichéens.

A.

Pardieu, si Jupiter a eu deux tonneaux, celui du mal était la tonne d’Heidelberg^; et celui du bien fut à peine un quartaut. Il y a tant dabus dans ce monde que, dans un voyage que je fis à Paris en 1751, on appelait comme d’abus six fois par semaine, pendant toute l’année, au banc du roi qu’ils nomment ^j«r/e?7îe/iï.

B.

Oui; mais à qui appellerons-nous des abus qui régnent dans la constitution de ce monde?

K’est-cc pas un abus énorme que tous les animaux se tuent avec acharnement les uns les autres pour se nourrir, que les hommes se tuent beaucoup plus furieusement encore sans avoir seulement l’idée de se manger?

1. Ce conseil était donné par Voltaire eu 1768. Les Anglais, plusieurs années après, ont pu juger combien son avis était sage. (K.)

2. Il y avait à Heidelberg une tonne qui contenait huit cents muids. (B.) — Cent muids. (G. A.)