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DE M. DE VOLTAIRE. 407

y eut des veuves et des orphelins réduits à la mendicité ; mais les jésuites les confessèrent, les communièrent, et les dédomma- gèrent en leur donnant la vie éternelle.

Vers l'an 115k, les jésuites d'Orncx voulurent arrondir leur domaine en achetant à très-vil prix un bien de mineur, alors engagé pour la somme de quinze mille livres, lequel était à leur bienséance. Ce fonds appartenait à sept jeunes gentilshommes, officiers des armées du roi, tous frères et tous pauvres. La société de Jésus avait encore du crédit, et on ne se doutait pas qu'elle dût être sitôt punie. Elle obtint des lettres patentes du conseil du roi pour acquérir ce bien de mineurs.

J'ai eu entre les mains, j'ai vu de mes yeux un mémoire des jésuites d'Ornex, dans lequel ils disaient que s'ils achetaient la dépouille de sept orphelins, c'était parce qu'ils étaient sûrs que ces orphelins étaient trop pauvres pour rentrer jamais dans leur patri- moine. Le mémoire existe encore. Ce mystère allait être con- sommé. J'en fus informé, j'en fus indigné. Je pris le parti de ceux à qui on voulait ravir le bien de leurs ancêtres. Je déposai l'argent au greffe de la ville de Gex. Et enfin, après des contesta- tions infinies entre la famille de ces gentilshommes et ceux en faveur desquels leur bien était précédemment engagé, le parle- ment de Dijon a rendu une justice éclatante à ces officiers. Ils sont aujourd'hui en possession de leurs biens ; ils bénissent le parlement, et ils ne sont pas ingrats envers moi, comme l'ont été quelques gens de lettres ^

Pendant ce long procès, qui me coûta beaucoup de peine et d'argent, vous savez, monsieur, que les jésuites furent successi- vement condamnés par tous les parlements du royaume, et que leur ordre fut aboli en France, en Espagne, en Portugal, dans les royaumes de Naples et de Sicile, dans les États de Parme, et à Malte.

Je n'eus certainement aucune part à leur expulsion, et je ne pus en avoir. Ce n'était pas sans doute un vieillard ignoré et caché dans la solitude qui leur porta les premiers coups. Cepen- dant l'affaire des sept orphelins ayant été connue des supérieurs de l'ordre, quelques-uns de ce corps me firent l'honneur de me regarder comme un des premiers instruments qui préparèrent la ruine des jésuites.

��1. Ces gentilshommes sont MM. de Crassy, dont deux sont actuellement che- valiers de Saint-Louis, en considération de leurs belles actions, et dont un autre est gouverneur de la ville de Gex. (Note de Voltaire.)

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