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AUX ROMAINS.

l’obscurité, et rampèrent dans la fange ; il est certain que, lorsque les chrétiens commencèrent à écrire, ils ne confiaient leurs livres qu’à des initiés à leurs mystères ; on ne les communiquait pas même aux catéchumènes, encore moins aux partisans de la religion impériale. Nul Romain ne sut, jusqu’à Trajan, qu’il y avait des Évangiles ; aucun auteur grec ou romain n’a jamais cité ce mot évangile ; Plutarque, Lucien, Pétrone, Apulée, qui parlent de tout, ignorent absolument qu’il y eût des Évangiles, et cette preuve, parmi cent autres preuves, démontre l’absurdité des auteurs qui prétendent aujourd’hui, ou plutôt qui feignent de prétendre que les disciples de Jésus moururent pour soutenir la vérité de ces Évangiles, dont les Romains n’entendirent jamais parler pendant deux cents années. Les Galiléens, demi-juifs demi-chrétiens, séparés des disciples de Jean, des thérapeutes, des esséniens, des judaïtes, des hérodiens, des saducéens et des pharisiens, grossirent leur petit troupeau dans le bas peuple, non pas assurément par le moyen des livres, mais par l’ascendant de la parole, mais en catéchisant des femmes[1], des filles, des enfants, mais en courant de bourgade en bourgade ; en un mot, comme toutes les sectes s’établissent.

En bonne foi, Romains, qu’auraient répondu vos ancêtres si saint Paul, ou Simon Barjone, ou Mathias, ou Matthieu, ou Luc, avaient comparu devant le sénat, s’ils avaient dit : Notre Dieu Jésus, qui a passé toute sa vie pour le fils d’un charpentier, est né l’an 752 de la fondation de Rome, sous le gouvernement de Cirénius[2], dans un village juif nommé Bethléem, où son père Joseph et sa mère Mariah étaient venus se faire inscrire, quand Auguste ordonna le dénombrement de l’univers ? Dieu naquit dans une étable entre un bœuf et un âne[3] ; les anges descendirent du ciel à sa naissance, et en avertirent tous les paysans ; une étoile nouvelle éclata dans les cieux, et conduisit vers lui trois rois ou trois mages d’Orient, qui lui apportèrent en tribut de l’encens, de la myrrhe, et de l’or ; et malgré cet or, il fut pauvre toute sa vie. Hérode, qui se mourait alors, Hérode, que vous aviez fait roi,

  1. Actes, ch. xvi, v. 13 et 14. (Note de Voltaire.)
  2. Luc, ch. ii, v. 1, 2, 3, etc. (Id.)
  3. Il est reçu dans toute la chrétienté que Jésus naquit dans une étable, entre un bœuf et un âne ; cependant il n’en est pas dit un mot dans les Évangiles : c’est une imagination de Justin ; Lactance en parle, ou du moins l’auteur d’un mauvais poëme sur la Passion, attribué à ce Lactance.

    Hic mihi fusa dedit bruta inter inertia primum
    Arida in angustis præsopibus herba cubile.

    (Id.)