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PERPÉTUELLE.

temps aux prélats ; qu’il ne voulait pas renoncer au plaisir de la chasse, qui était défendue aussi ; qu’il n’enseignerait jamais des mystères qui choquent le bon sens ; qu’il ne pouvait croire que l’âme fût produite après le corps ; que la résurrection et plusieurs autres doctrines des chrétiens lui paraissaient des chimères ; qu’il ne s’élèverait pas publiquement contre elles, mais que jamais il ne les professerait ; que si on voulait le faire évêque à ce prix, il ne savait pas même encore s’il daignerait y consentir.

Les évêques persistèrent : on le baptisa, on le fit diacre, prêtre, évêque ; il concilia sa philosophie avec son ministère : c’est un des faits les plus avérés de l’histoire ecclésiastique. Voilà donc un platonicien, un théiste, un ennemi des dogmes chrétiens, évêque avec l’approbation de tous ses collègues, et ce fut le meilleur des évêques, tandis qu’Hypatie est pieusement assassinée dans l’église, par les ordres ou du moins par la connivence d’un évêque d’Alexandrie décoré du nom de saint.

Lecteur, réfléchissez et jugez ; et vous, évêques, tâchez d’imiter Synesius.

XXIV.

Pour peu qu’on lise l’histoire, on voit qu’il n’y a pas eu un seul jour où les dogmes chrétiens n’aient fait verser le sang, soit en Afrique, soit dans l’Asie Mineure, soit dans la Syrie, soit en Grèce, soit dans les autres provinces de l’empire. Et les chrétiens n’ont cessé de s’égorger en Afrique et en Asie que quand les musulmans, leurs vainqueurs, les ont désarmés et ont arrêté leurs fureurs.

Mais à Constantinople, et dans le reste des États chrétiens, l’ancienne rage prit de nouvelles forces. Personne n’ignore ce que la querelle sur le culte des images a coûté à l’empire romain. Quel esprit n’est pas indigné, quel cœur n’est pas soulevé, quand on voit deux siècles de massacres pour établir un culte de dulie à l’image de sainte Potamienne et de sainte Ursule ? Qui ne sait que les chrétiens, dans les trois premiers siècles, s’étaient fait un devoir de n’avoir jamais d’images ? Si quelque chrétien avait alors osé placer un tableau, une statue dans une église, il aurait été chassé de l’assemblée comme un idolâtre. Ceux qui voulurent rappeler ces premiers temps ont été regardés longtemps comme d’infâmes hérétiques : on les appelait iconoclastes ; et cette sanglante querelle a fait perdre l’Occident aux empereurs de Constantinople.