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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/206

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CHAPITRE XXXI.

J’ai vu quelques disciples de Bolingbroke, plus ingénieux qu’instruits, qui niaient l’existence d’un Jésus parce que l’histoire des trois mages et de l’étoile, et du massacre des innocents, est, disaient-ils, le comble de l’extravagance : la contradiction des deux généalogies que Matthieu et Luc lui donnent était surtout une raison qu’alléguaient ces jeunes gens pour se persuader qu’il n’y a point eu de Jésus ; mais ils tiraient une très-fausse conclusion. Notre compatriote Houel s’est fait faire en France une généalogie fort ridicule ; quelques Irlandais ont écrit que lui et Jeansin avaient un démon familier qui leur donnait toujours des as quand ils jouaient aux cartes. On a fait cent contes extravagants sur eux. Cela n’empêche pas qu’ils n’aient réellement existé ; ceux qui ont perdu leur argent avec eux en ont été bien convaincus.

Que de fadaises n’a-t-on pas dites du duc de Buckingham ! Il n’en a pas moins vécu sous Jacques et sous Charles[1].

Apollonius de Tyane n’a certainement ressuscité personne ; Pythagore n’avait pas une cuisse d’or ; mais Apollonius et Pythagore ont été des êtres réels. Notre divin Jésus n’a peut-être pas été emporté réellement par le diable sur une montagne[2]. Il n’a pas réellement séché un figuier au mois de mars, pour n’avoir pas porté de figues, quand ce n’était pas le temps des figues[3]. Il n’est peut-être pas descendu aux enfers, etc., etc., etc. Mais il y a eu un Jésus respectable, à ne consulter que la raison.

Qui était cet homme ? Le fils reconnu d’un charpentier de village : les deux partis en conviennent ; ils disputent sur la mère. Les ennemis de Jésus disent qu’elle fut engrossée par un nommé Panther. Ses partisans disent qu’elle fut enceinte de l’esprit de Dieu. Il n’y a pas de milieu entre ces deux opinions des Juifs et des chrétiens. Les Juifs auraient pu cependant embrasser un troisième sentiment, qui est plus naturel : c’était que son mari, qui lui fit d’autres enfants, lui fit encore celui-là ; mais l’esprit de parti n’a jamais de sentiment modéré. Il résulte de cette diversité d’opinions que Jésus était un inconnu né dans la lie du peuple ; et il résulte que, s’étant donné pour prophète comme tant d’autres, et n’ayant jamais rien écrit, les païens auraient pu raisonnablement douter qu’il sût écrire, ce qui serait conforme à son état et à son éducation.

  1. Georges Villiers, duc de Buckingham, né en 1592, mort en 1628, avait eu la faveur de Jacques Ier et de son successeur Charles Ier.
  2. Matth., iv, 8 ; et Luc, iv, 5.
  3. Matth., xi, 19 ; Marc, xi, 13.