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DISCOURS

terre ; la terre était vide et sans forme, et les ténèbres étaient sur la surface de l’abîme ; et l’esprit de Dieu était porté sur la surface des eaux. Et Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut ; et Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière des ténèbres ; et Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres la nuit. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin ; ce fut le premier jour. Et Dieu dit qu’il y ait un firmament au milieu des

    niathon, auteur phénicien, ne parle pas plus d’un Moïse que les autres ; et certainement, pour peu qu’il en eût dit un mot, le prolixe romancier Eusèbe se serait appuyé de ce témoignage, lui qui cite jusqu’aux romans de Papias, d’Hermas, de Clément, d’Abdias, de Marcel et d’Hégésippe.

    6o S’il y a eu un Moïse auteur du Pentateuque, ou ce Moïse a menti, ou Jérémie, Amos, Étienne, le disciple de Jésus, et les Actes des apôtres, ont menti. Cela est démontré. Moïse ordonne des sacrifices, Aaron sacrifie au Seigneur, et Jérémie dit expressément, ch. vii, v. 2 : « Je n’ai point ordonné à vos pères, au jour que je les ai tirés d’Égypte, de m’offrir des holocaustes et des victimes. » Moïse ne parle d’aucune autre idolâtrie que de celle du veau d’or que son frère jeta en fonte en une seule nuit, quoiqu’il faille plus de six mois pour une telle opération ; Amos, sans parler du veau d’or, dit, ch. v, v. 25 et 26 : « Maison d’Israël, m’avez-vous offert des hosties et des sacrifices dans le désert pendant quarante ans ? Vous y avez porté le tabernacle de votre Moloch, l’image de vos idoles et l’étoile de votre Dieu. » Saint Étienne, ch. vii, v. 42 et 43 des Actes des apôtres, dit la même chose, et nomme Remphan le Dieu dont on a porté l’étoile.

    Depuis que les chrétiens admirent un Agion Pneuma, un Saint-Esprit, ils assurèrent que le même Saint-Esprit avait inspiré tous les livres saints ; le Saint-Esprit mentit donc quand il inspira Moïse, ou quand il inspira saint Étienne, Amos, et Jérémie.

    7o Tout homme de bon sens un peu attentif n’a qu’à considérer les fautes énormes de géographie et de chronologie, les noms des villes qui n’existaient pas alors, les préceptes donnés aux rois quand il n’y avait point de rois, et surtout ces paroles de la Genèse, chap. xxxvi, v. 31 : « Voici les rois qui régnèrent dans le pays d’Édom, avant que les enfants d’Israël eussent un roi. » Il n’y a, dis-je, qu’à ouvrir les yeux pour voir que ces livres n’ont pu être composés que longtemps après que les Juifs eurent une capitale et des espèces de monarques.

    En effet, on voit au liv. IV des Rois, chap. xxii, v. 8, et au liv. II des Paralipomènes, ch. xxxiv, v. 14, que le premier exemplaire fut trouvé sous le roi Josias, environ sept cents ans après Moïse, si l’on peut supputer un peu juste dans la confusion de cette malheureuse chronologie.

    Une remarque très-importante, c’est qu’aucun prophète, aucun historien, aucun moraliste n’a jamais cité le moindre passage des livres attribués à Moïse. Comment se peut-il faire que des interprètes de la loi n’aient jamais cité la loi, n’aient jamais dit : « Comme il est écrit dans le Deutéronome, comme il est rapporté dans les Nombres, etc. » ?

    Enfin il est de la plus grande vraisemblance que ces malheureux Juifs supposèrent un Moïse, comme les Anglais ont supposé un Merlin, et les Français un Francus. C’est ainsi que les Indiens imaginèrent un Brama, les Égyptiens un Oshiret, les Arabes un Bak ou Bacchus.

    Mais, dira-t-on, les Musulmans n’ont point supposé un Mahomet, les Romains eurent en effet un Numa. Oui ; mais les Vies de Mahomet et de Numa ne révoltent point le bon sens comme la Vie de Moïse. Tout est très-vraisemblable dans Numa et