Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
PROGRÈS DES CHRÉTIENS.

corps ressusciteront sans estomac, et sans les parties de devant et de derrière, mais avec des fibres intellectuelles, et d’excellentes têtes[1]. Celle de Bonnet me paraît un peu fêlée ; il faut la mettre avec celle de notre Ditton[2] : je lui conseille, quand il ressuscitera, de demander un peu plus de bon sens, et des fibres un peu plus intellectuelles que celles qu’il eut en partage de son vivant. Mais que Charles Bonnet ressuscite ou non, milord Bolingbroke, qui n’est pas encore ressuscité, nous prouvait pendant sa vie combien toutes ces chimères tournaient la tête des idiots subjugués par des enthousiastes.

Il est utile que les hommes croient un Dieu rémunérateur et vengeur. Cette idée encourage la probité et ne choque point le sens commun ; mais la résurrection révolte tous les gens qui pensent, et encore plus ceux qui calculent. C’est une très-mauvaise politique de vouloir gouverner les hommes par des fictions : car tôt ou tard les yeux s’ouvrent, et on déteste d’autant plus les erreurs dans lesquelles on a été nourri qu’on y a été asservi davantage.

Dans les commencements, la populace se livra en aveugle aux demi-juifs, demi-chrétiens, demi-platoniciens, qui avaient la fureur de faire des prosélytes, fureur si chère à l’amour-propre ; des ignorants, disciples d’ignorants, en attiraient d’autres au parti ; et les femmes, toujours bien dévotes et bien crédules, se faisaient chrétiennes par la même faiblesse que d’autres se faisaient sorcières.

Cela ne suffisait pas sans doute pour que des sénateurs romains, des successeurs de Scipion, de Caton, de Métellus, de Cicéron, de Varron, s’embéguinassent d’un tel Conte du Tonneau[3]. Et en effet il n’y eut presque aucun sénateur jusqu’à Théodose qui embrassât une secte si chimérique. Constantin même, lorsque l’argent des chrétiens l’eut fait empereur, et lorsqu’il donna

  1. M. Bonnet, célèbre naturaliste, connu par un excellent ouvrage sur les feuilles des plantes, par la découverte d’un puceron hermaphrodite, et par des observations sur la reproduction des parties des animaux, avait eu le malheur de faire quelques ouvrages ridicules de métaphysique et de théologie, dans les instants où la faiblesse de sa vue ne lui permettait pas de faire des observations. Il parlait quelquefois avec mépris de M. de Voltaire dans ces ouvrages, et dans ses lettres à l’anatomiste Haller, qui avait aussi le malheur d’être théologien. M. de Voltaire prend ici la liberté de se moquer d’une des plus plaisantes rêveries métaphysico-théologiques qui soient échappées au savant naturaliste. (K.)
  2. Humphrey Ditton, géomètre anglais, né à Salisbury en 1675, mort en 1715, est auteur de la Religion chrétienne démontrée par la résurrection de Jésus-Christ, dont il existe une traduction française par André de La Chapelle, 1729, in-4o.
  3. Voyez, tome XXVI, la note 2 de la page 206.